TABLE
DES MATIÈRES.
La théorie des Orbitales Moléculaires et l’émergence de la
Chimie Quantique.
Comment décrire
les molécules ?
2.2 – Les modèles de
Lewis et Langmuir.
2.3 – La spectroscopie
moléculaire avant 1923.
2.3.2 – La loi de Henri Deslandres.
2.3.3 – Chaleur spécifique et spectres infrarouges.
2.3.4 – Quel est le lien entre les spectres infrarouges et
la structure des molécules ?
2.3.5 – Unification des spectroscopies atomiques et
moléculaires.
2.4 – Mulliken et la
spectroscopie.
2.4.2 – 1923-1925 : l’effet isotopique.
2.4.3 – 1925- 1926 : les états électroniques et la
structure électronique des molécules.
2.4.3.2 – Un tournant,
l’article [22] du 03.07.1925.
2.4.3.3 –
« Electronic states and band-spectrum structure in diatomic
molecules. »
Les molécules,
objets quantiques.
De la spectrocopie
aux orbitales moléculaires.
4.2 – Quel est
l’apport de la théorie quantique ?
4.2.3 – Les différents types de couplages.
4.2.4 – Le concept d’orbitale moléculaire.
4.3 – Mulliken et la théorie
quantique.
4.3.2 – La réception des nouvelles idées.
4.3.3 – Le
traitement des molécules diatomiques.
4.3.3.2 – Un principe
de construction pour les molécules ?
4.3.3.3 – Comment
établir la structure électronique des molécules ?
4.3.3.3.1 – De l’atome
unifié à la molécule.
4.3.3.3.2 – Des atomes
séparés à la molécule.
4.3.3.3.3 – Remarque
sur l’inversion des niveaux des
molécules analogues aux alcalins.
4.3.3.4 – Diagramme de
corrélation : le lien entre les atomes séparés et l’atome unifié.
Des orbitales
moléculaires à la chimie quantique.
5.2 – Comment étudier
les molécules polyatomiques ?
5.2.1 – Quel est le rôle de la Grande-Bretagne ?
5.3 – Comment Mulliken
aborde-t-il les molécules polyatomiques ?
5.3.2 – Qu’est qu’une orbitale moléculaire ?
5.3.3 – Orbitales moléculaires et symétrie : la
théorie des groupes.
5.3.4 – Les orbitales moléculaires et l’approximation
LCAO.
5.3.5 – Localisation et délocalisation.
L’implantation de
La theorie des orbitales moléculaires et l’émergence de la chimie quantique.
6.2 – La liaison de valence et/ou les orbitales
moléculaires.
6.2.2 – La molécule de dihydrogène.
6.2.3 – La réception de la théorie de la liaison de
valence.
6.2.4 – Comparaison des deux modèles.
6.3 – A la poursuite de la Chimie Quantique.
6.3.2 – De l’Europe aux Etats-Unis.
6.3.3.2 – Comment
s’organise la chimie quantique ?
6.3.3.3 – Pourquoi ce
retard ?
A.1.1 – Article d’
Oyvind Burrau
A.1.2 – Pauling :
la nature de la liaison chimique.
A.1.3 – Hartree :
le champ auto-cohérent.
Fonctions d’onde,
etats et configurations électroniques des atomes et des molécules.
A.3.1 – L’atome à un
électron.
A.3.2 – L’atome à plusieurs électrons.
Le principe de
correspondance et L’hypothèse adiabatique.
A.4.1 – Le principe de
correspondance.
A.4.2 – L’hypothèse
adiabatique.
Chapitre 1
« Perhaps life is a characteristic of matter, and man is the agent whose part in a cycle of the universe is to break up old worlds and to make them into new. » [1]
Par ce travail, nous
nous proposons de retracer l’histoire de la théorie des orbitales moléculaires.
Le concept d’orbitale moléculaire, issu de la spectroscopie moléculaire à la
fin des années 1920, finira par être utilisé pour décrire la structure et la
réactivité des molécules. Durant cette période, d’autres modèles d’étude des
molécules seront élaborés, citons en particulier, le modèle de la liaison de
valence. Les orbitales moléculaires et la liaison de valence constitueront les
deux principales méthodes d’étude des molécules à l’origine de l’émergence
d’une nouvelle discipline, la chimie quantique. Cette histoire s’inscrit dans
l’histoire de la chimie moderne et nous avons couvert une période s’écoulant
approximativement des années 1910, aux années 1950.
L’histoire de la chimie
quantique nous est souvent présentée[2] d’un point de vue que nous
pourrions presque qualifier de « réductionniste », la chimie
quantique y étant alors souvent perçue comme une simple branche de la physique quantique.
« W. Heitler et F.
London, partant de la théorie de la molécule d’hydrogène, ont pu montrer que
seule la mécanique ondulatoire permet de comprendre la véritable nature de la
notion de valence chimique et des forces qui assurent la stabilité des édifices
moléculaires. Ce travail a été à l’origine du développement d’une branche
nouvelle de la théorie physique, aujourd’hui désignée sous le nom de chimie
théorique ou chimie quantique. » [3]
Cette histoire qui
passe par Planck et la
théorie des quanta[4] ; par Bohr et
« son atome » ; par Heisenberg et la
mécanique des matrices ; par Schrödinger et la mécanique
ondulatoire, c’est l’histoire de la théorie quantique[5]. Ce point de vue qui occulte une partie de
l’histoire à laquelle nous nous sommes intéressés n’a pas retenu notre
attention. Nous avons préféré montrer la cohérence interne du développement de la
théorie des orbitales moléculaires en liaison avec l’émergence de la chimie
quantique. De fait, la théorie des quanta et la théorie quantique jouent un
rôle tout à fait essentiel dans l’émergence du concept d’orbitale moléculaire.
Néanmoins, la chimie quantique, bâtie autour de la théorie de la liaison de
valence et de la théorie des orbitales moléculaires, doit son développement aux
chercheurs « hybrides », mi-chimistes, mi-physiciens ;
mi-chimistes, mi-mathématiciens qui ont élaboré un nouveau langage et repensé
le problème des rôles respectifs de la théorie et de l’expérience en
chimie.
Nous avons organisé
notre étude autour des chercheurs qui ont contribué à l’élaboration et à la
diffusion de la théorie des orbitales moléculaires. Comme le montre la [figure
1], notre recherche est structurée en trois niveaux :
Figure 1 – Organisation de notre étude.
Mulliken reçoit le
Prix Nobel de Chimie en 1966 pour son « Travail sur la liaison chimique et la
structure électronique des molécules par la méthode des orbitales
moléculaires ». Nous sommes
donc partis des articles de Mulliken, il constitue notre premier cercle. Nous avons
ensuite élargi notre étude aux publications de certains auteurs auxquels il
fait référence. Nous avons choisi ces chercheurs en fonction de l’importance de
leur contribution à l’élaboration du concept d’orbitale moléculaire, ils
constituent notre deuxième cercle. Dans le troisième cercle, nous trouverons
les protagonistes qui ont développé d’autres approches quantiques de la
molécule.
Cette façon de procéder
nous a permis de mettre en évidence la diversité des participations qui ont mis
en forme la théorie des orbitales moléculaires, favorisé ou retardé son
enracinement dans la chimie quantique.
Figure 2 – Plan de notre étude.
Nous commencerons cette
étude en nous interrogeant sur les différentes façons de décrire la molécule.
Dans le Chapitre 2 nous exposerons les modèles classiques de Lewis et de
Langmuir, avant d’étudier l’apport de la spectroscopie à
l’étude des structures moléculaires.
Dans le Chapitre 3,
nous aborderons le modèle de la liaison de valence, principal concurrent des
orbitales moléculaires, il fut développé dans le cadre de la théorie quantique
par Heitler et London puis par
Slater et Pauling.
Dans les Chapitre 4 et
Chapitre 5, nous répondrons aux deux questions essentielles de notre étude.
· Comment passe-t-on de la spectroscopie aux orbitales moléculaires ?
Chapitre 4.
· Comment passe-t-on des orbitales moléculaires à la chimie quantique ?
Chapitre 5.
Dans le Chapitre 6,
nous étudierons la diffusion de la théorie des orbitales moléculaires en
concurrence avec la théorie de la liaison de valence et en liaison avec
l’émergence d’une nouvelle discipline, la chimie quantique.
Comment décrire les molécules ?
« I feel that chemical binding has not one nature but many. » [6]
Dans ce chapitre, nous
allons retracer succinctement différentes approches de la molécule, tout en
considérant leurs liens avec les théories quantiques de la liaison chimique.
Figure 3 – Evolution des théories de la liaison chimique.
Le tableau synoptique
de la [figure 3], présentant « L'évolution des théories de la liaison chimique », montre que la théorie de Lewis, que nous exposerons au paragraphe
[2.2], occupe une position centrale. En
effet, d’une part, elle réconcilie les théories précédentes ; d’autre
part, elle trouve une justification dans les théories quantiques de la liaison
chimique dont nous parlerons dans le Chapitre 3. Dans ce chapitre, nous
décrirons succinctement diverses approches de la molécule avant la théorie
quantique et nous étudierons en particulier l’importance des spectroscopies
atomiques et moléculaires comme moyen d’accéder à la structure de la matière.
Quelle est la nature du lien qui maintient les atomes ensemble pour former une
molécule à la structure bien définie ?
A la fin du 19ième
siècle, on peut repérer trois types de description de la liaison chimique.
· La liaison ionique.
Tentant d’expliquer
l’électrolyse de l’eau[7], Sir Humphrey Davy (1778 - 1829), professeur
à la Royal Institution de Londres, suppose que les particules d’hydrogène,
entrant dans la composition de l’eau, sont attirées par le pôle négatif de
l’électrolyseur qui repousse les particules d’oxygène qui sont alors attirées
par le pôle positif. Cette idée est exploitée par Jöns
Jacob Berzelius (1779 -
1848), professeur de chimie suédois de très grande renommée qui conçoit une
théorie des réactions fondée, non plus sur des interactions de types
newtoniennes, mais sur l’électricité. Il en déduit que les atomes de chaque
élément portent une charge électrique qui leur permet de s’associer les uns aux
autres par formation d’une liaison de nature électrostatique. Ainsi, l’atome
d’hydrogène doit porter une charge positive tandis que l’atome de chlore est
porteur d’une charge négative.
· La liaison de valence en chimie organique.
En chimie organique,
Jean-Baptiste Dumas (1800 –
1884), professeur à l’Université de Paris et au Collège de France, observe que
l’on peut remplacer un hydrogène par un chlore dans l’acide acétique. Compte
tenu de la polarité respective de ces deux éléments, cette observation est en
totale contradiction avec la théorie de Berzelius. Le modèle de la liaison ionique ne permet pas
d’expliquer la plupart des faits de la chimie organique.
Friedrich August Von
Stradonitz Kekulé (1829 –
1896), alors à l’Université de Heidelberg, postule la tétravalence du carbone
en 1857 et propose une structure pour le benzène [figure 4]. Dans ce modèle,
les quatre valences de chaque atome de carbone oscillent entre ces deux
voisins. Le benzène fut l’objet d’un grand nombre d’étude et de nombreuses structures
furent proposées[8], citons en particulier l’hypothèse de la valence
partielle (1899) de F. K. Johannes Thiele (1865-1918). Il traite la liaison entre deux atomes de carbone
comme Kekulé, intermédiaire entre une double et une simple liaison, mais il y rajoute le concept de
valence partielle qui permet d’expliquer la facilité des réactions d’addition.
Les liaisons simples mettent en jeu deux électrons, les liaisons doubles quatre
et les liaisons partielles trois électrons. Cette hypothèse sera confirmée par
les théories quantiques de la liaison chimique.
Figure 4 – La représentation du benzène par Kekulé.[9]
Indépendamment Joseph
Achille Le Bel (1847 – 1930), un chimiste français et Jacobus Henricus van’t Hoff (1852 –
1911), chimiste hollandais, mettent en évidence la structure tétraédrique des
hydrocarbures saturés [figure 5].
Figure 5 – Représentation de la structure tétraèdrique des hydrocabures saturés. [10]
· La liaison de coordination dans les complexes.
Alfred Werner[11] (1866 – 1919), de Zurich, montre que
des ions et des molécules peuvent s’associer pour former des édifices
moléculaires à la structure bien définie, dénommés complexes.
La découverte de
l’électron ouvre de nouvelles perspectives aboutissant à la conception de
différents modèles atomiques desquels émergent, comme nous le préciserons plus
tard, un atome statique, celui des chimistes et un atome dynamique, celui des
physiciens. L’atome n’est plus insécable, il est constitué d’un noyau chargé positivement
autour duquel circulent des électrons chargés négativement. Les électrons ne
sont pas tous également liés au noyau et les électrons périphériques jouent un
rôle particulier. Une évidence s’impose à la plupart des chercheurs, les
électrons doivent assurer la liaison entre les atomes.
Indépendamment, Joseph
J. Thomson[12] (1856 – 1940) en Angleterre et Walter Kossel[13] (1888 – 1956), physicien allemand, redessinent la
liaison ionique.
Kossel met en
évidence la ‘règle de l’octet’. Lors de la formation d’une molécule, les atomes
vont perdre ou gagner un ou plusieurs électrons de façon à acquérir huit
électrons périphériques. Les ions ainsi formés sont liés par la force
électrostatique. Ce modèle ne peut être extrapolé à toutes les molécules et en
particulier aux molécules non polaires, comme par exemple le dihydrogène H2.
Autant les
scientifiques comprenaient facilement la liaison chimique en terme
d’interaction électrostatique entre deux atomes différents, autant il était
difficile de concevoir le processus par lequel des atomes identiques pouvaient
se lier pour former une molécule.
En 1916, Newton G.
Lewis[14] (1875 – 1946), professeur de chimie-physique à
Berkeley, va résoudre le problème. Il suppose que, lors de la formation d’une
liaison entre deux atomes, chaque atome fournit un électron ; la paire ainsi
constituée appartient aux deux atomes simultanément et assure la liaison chimique.
Irving Langmuir (1881 – 1957), physicien et chimiste américain, qui jouera un rôle important dans la diffusion
de ce dernier modèle, nomme la liaison de Lewis, ‘liaison covalente’[15]. La liaison chimique est donc constituée d’un doublet
d’électrons, la mise en commun du doublet permet à chaque atome de compléter sa
couche électronique externe (ou couche de valence) à huit électrons.
Lewis imagine un
modèle atomique dans lequel les électrons sont placés aux sommets d'un cube
[figure 6.a], au lieu d'être disposés sur un cercle conformément au modèle de
Bohr que nous décrirons au paragraphe
[2.3.5.1].
Figure 6 – Modèles atomiques et moléculaires de Lewis[16].
Ces modèles atomiques
permettaient d’expliquer la structure de certaines molécules. A l’aide du
schéma [A] de la [figure 6.b] Lewis décrit la
molécule de diiode I2 comme résultant de l’échange d’un électron
entre deux atomes d’iode neutres pour former deux ions I et I
. Une autre façon
d’aborder le problème est de considérer qu’un des atomes donne un électron à
l’autre selon le schéma [B] de la [figure 6.b] tandis que l’autre atome donne
lui aussi son électron, on aboutit ainsi au schéma [C] de la [figure 6.b]. Dans
le cas d’une double liaison, ce sont quatre électrons qui sont mis en commun.
Pour la molécule de dioxygène, on peut imaginer une représentation du type de
celle de la [figure 6.c]. Le doublet mis en commun sera représenté par un
couple de points [figure 7], puis par un tiret.
Figure 7 – Représentation de Lewis de la molécule de dioxygène.
La quadrivalence du
carbone était facilement expliquée et pour retrouver la structure tétraédrique
du carbone, Lewis suppose
que le doublet de liaison glisse au milieu de l'arête du cube pour constituer
des molécules tétraédriques.
En
1919, Irving Langmuir[17], reprend le modèle cubique de l'atome de Lewis. Il le propage parmi les chimistes avec une
grande efficacité grâce à la création d'un vocabulaire adapté (octet, liaison
covalente) permettant de définir les concepts développés. Il introduit l’idée
de molécules isostères, c’est à dire de molécules possédant le même nombre
d’électrons. Par exemple, N2 (diazote) et CO (monoxyde de carbone)
sont des molécules isostères, malgré une composition atomique très différente,
elles ont des propriétés physiques semblables. Comment expliquer ceci ?
L’hypothèse émise est la suivante, des molécules qui ont des propriétés
similaires ont très probablement la même structure électronique.
D’après Lewis, lors de la formation du diazote à partir de deux
atomes d’azote, chaque atome met en commun trois électrons pour former trois
doublets liants, les deux électrons périphériques restant sur chaque atome
d’azote formant un doublet non liant.
êNN ê
Langmuir, quant à lui, décrit la
structure de N2 et CO de la façon plus nuancée.
La stabilité et
l’inertie chimique de N2 sont expliquées par la disposition de ses
14 électrons.
- Chaque noyau de
l’atome d’azote retient les deux électrons les plus liés en une couche K (2
fois 2 électrons).
- les 8 électrons des
10 restants forment un octet similaire à une couche L saturée dans les atomes.
- Les deux derniers
forment ce que Langmuir appelle
« une paire emprisonnée »[18] dans l’octet ce qui contribue à la stabilisation
de l’ensemble. La paire d’électrons mise en commun par les deux atomes est
analogue aux deux électrons de valence du magnésium.
CO et CN (l’ion cyanure)
ayant le même nombre d’électrons que N2, Langmuir leur
attribue la même structure.
Dans le cas de NO (monoxyde
d’azote), qui possède un électron supplémentaire, ce sont trois électrons qui
sont alors emprisonnés dans l’octet, on a alors l’analogue de la structure
électronique de Al (aluminium). Les molécules BO et CN, avec un électron de
moins que N2, ont une
structure analogue à celle de Na (sodium).
D’après
Langmuir, « Electron
rearrangement is the fundamental cause of chemical action. »[19]. Un des premiers chimistes à s’intéresser aux
propositions de Langmuir est Arthur
Lapworth (1872 -
1942), professeur de chimie physique et de
chimie organique à l’Université de Manchester. Il eut une grande
influence sur Robert Robinson (1886 – 1975) avec
lequel il échangea une longue correspondance entre 1915 et 1920 sur les moyens
d’appliquer les idées électroniques à la chimie organique. Nous reparlerons de
ses travaux plus tard.
Les modèles de Langmuir et Lewis ne
reçurent pas l'approbation des physiciens. Lewis n’expliquait pas pourquoi la
liaison par paire d’électrons était possible, il décrivait simplement comment
elle s’établissait et rien en théorie classique ne permettait d’expliquer
l’appariement électronique. Langmuir proposait l'existence d'une force
quantique qui, en contrebalançant la force de Coulomb, expliquait la stabilité
des molécules. Le modèle atomique de
Lewis permettait de déduire les positions d'équilibre des électrons et non pas
des sauts quantiques comme l’envisageait le modèle de Bohr dont nous parlerons au paragraphe [2.3.5.1].
A ces débuts en chimie[20], la spectroscopie n’était utilisée qu’à
l’identification des éléments. Pour comprendre la structure de la matière, les
chimistes élaboraient des modèles basés sur l’analyse chimique. La
spectroscopie allait devenir un outil d’investigation de la matière tout à fait
primordial. Dans cette période, les spectroscopistes ne disposaient d’aucune
théorie. L’amélioration des techniques permettait d’obtenir des spectres de
plus en plus précis à partir desquels les chercheurs avaient compilé un grand
nombre de données empiriques qui restaient à analyser et à ordonner. Comment la
spectroscopie permet-elle d’accéder à la structure des molécules ?
Figure 8 – La spectroscopie moléculaire avant 1926.
Contrairement aux
spectres atomiques qui sont formés de raies, les spectres moléculaires
apparaissent sous forme de bandes plus ou moins larges [figure 9].
C’est à Deslandres[21] (1853 – 1948), spécialiste de spectroscopie astronomique français, que l’on doit le premier essai de classification
et de formalisation des spectres de bandes. Dès 1885, il reconnaît des
régularités dans les spectres de bandes[22] qu’il exprime sous la forme d’une loi
phénoménologique :
appelée
loi de Deslandres,
où l est la longueur d’onde ; A, B et
C sont des constantes ; m et n sont des entiers.
Deslandres avait
aussi trouvé une analogie entre la distribution des nombres d’onde (1/l) des raies spectrales et les sons générés par les
vibrations d’un solide. Cette observation laissait à penser que les spectres
pouvaient, comme les vibrations sonores, résulter de vibrations atomiques[23].
En 1885, Johnann Jakob
Balmer (1825 – 1898), physicien et mathématicien Suisse, avait établi une
formule mathématique qui permettait de calculer les longueurs d’onde de
certaines séries de raies du spectre de l’atome d’hydrogène :
où B est une constante et n un entier supérieur à 2. En 1889, le physicien suédois, Johannes Robert
Rydberg (1854 – 1919) découvre une écriture
simplifiée de cette formule sous la forme :
où s est le nombre d'onde et RH la constante de Rydberg associée à
l'hydrogène.
De même que la formule
de Balmer est le prototype de la
représentation des séries dans les spectres de raies, celle de Deslandres sera le
prototype de la représentation des spectres de bandes. Les résultats obtenus
par Deslandres seront interprétés à l’aide de la théorie des quanta par Karl
Schwarzschild[24] (1873 – 1916), physicien et mathématicien
allemand, astronome à l’observatoire de Göttingen.
Quel est le lien entre
la théorie quantique de la chaleur spécifique et l’origine des spectres
infrarouges ?
En 1900, Max Planck (1858 –
1947), professeur de physique à Berlin, fonde la théorie des quanta[25] en montrant que les échanges d’énergie entre la
matière et la lumière se font par quantités discontinues, les quanta.
Jusqu’en 1907, la
théorie des quanta n’est appliquée qu’aux problèmes du rayonnement. C’est alors
qu’Albert Einstein (1879 –
1955) pense que l’étude des chaleurs spécifiques[26] pouvait, elle aussi, bénéficier de la théorie des
quanta.
« If it is true that the elementary oscillators that are used in the theory of energy transfer between radiation and matter cannot be interpreted in terms of the present molecular kinetic theory, must we then not also modify our theory for the other oscillators which are used in the molecular theory of heat? In my opinion they can be no doubt about the answer. If Planck’s theory of radiation really strikes the core of the matter, then it should be expected that other areas of the theory of heat contradictions also exist between the present molecular kinetic theory and experience which can be resolved by the method just proposed. » [27]
Pour préciser le lien
entre la spectroscopie moléculaire, les chaleurs spécifiques et la théorie des
quanta, nous allons expliquer les hypothèses d’Einstein. La loi[28] de Pierre Louis Dulong (1785 –
1838) et Alexis-Thérèse Petit (1791 –
1820) stipulait la constance des chaleurs spécifiques des solides (6 cal.mol.K
) or, des mesures
effectuées à basse température montraient qu’en fait, les chaleurs spécifiques
tendent vers zéro avec la température. Pour expliquer ce fait, Einstein utilise
un modèle simple dans lequel il néglige les interactions entre les atomes du solide,
il suppose que tous les atomes vibrent à la même fréquence qui est quantifiée.
A partir de ce modèle, il calcule les chaleurs spécifiques, les valeurs
calculées étaient en accord avec les
fréquences expérimentales de vibration infrarouge des solides. Einstein
prouvait ainsi la validité de la théorie ‘quantique’ des chaleurs spécifiques
et mettait en évidence que l’énergie de vibration des atomes, les spectres
infrarouges et la chaleur spécifique des solides étaient liés à la théorie des
quanta.
Walther Hermann Nernst (1864 -
1941), chimiste
et physicien de grand renom de l’Université de Berlin, était, de prime abord,
peu enclin à suivre la théorie de Planck qu’il
jugeait n’être « vraiment rien d’autre qu’une formule d’interpolation » [29]. Ses travaux sur la troisième loi de la
thermodynamique[30] l’amenèrent à changer de point de vue, les
mesures de chaleurs spécifiques qu’il avait effectuées aux basses températures
étaient en accord avec les calculs d’Einstein. Il décide alors de réunir en congrès les plus
grands physiciens du moment pour débattre du problème des quanta.
Le congrès Solvay se
déroule à Bruxelles du 30 octobre au 3 novembre 1911 sous l’intitulé suggéré
par Nernst, « Conseil
scientifique international pour élucider quelques questions d’actualités dans
les théories moléculaires et cinétiques. » Les comptes rendus seront publiés sous le titre « La Théorie
du Rayonnement et les Quanta. »
Nernst n’était
pas intéressé par l’aspect rayonnement de la théorie des quanta. Dans un
article publié avec Lindemann, un de ses collaborateurs, il écrivait en introduction :
« In a recently published investigation one of us [it was Nernst[31]] has given a representation of quantum physics which, following Einstein, considers radiative phenomena as only secondary circumstances and takes as its immediate point of departure the atomic vibrations. » [32]
Dans une des
conférences données au Congrès Solvay, « Application de la théorie des quanta
à divers problèmes physico-chimiques »[33], Nernst montre que
ses recherches lui ont permis d’établir une relation qui donne entre autres…
« … la possibilité de calculer a priori les
chaleurs spécifiques des solides et des gaz quand on connaît par des mesures
optiques, les fréquences d’oscillations. » [34]
Ce travail sur les
spectres moléculaires avait été réalisé par Niels Bjerrum (1879 - 1958)[35], un physico-chimiste de Copenhague qui
travaillait alors chez Nernst à Berlin.
Paul Drude[36] (1864 – 1906), physicien à Leipzig, avait montré
que les spectres infrarouges étaient dus aux mouvements des charges positives
des molécules alors que les spectres visibles étaient dus aux mouvements des
électrons. Dans ses travaux de 1907, Einstein évoquait
la théorie de Drude et la confirmait par le modèle quantique des oscillateurs
ioniques et les mesures effectuées dans l’infrarouge.
Bjerrum est le
premier à appliquer la théorie des quanta à la spectroscopie moléculaire[37].
Dans un premier article[38], publié avant le Congrès Solvay, Bjerrum étudie le
lien entre les spectres infrarouges et les chaleurs spécifiques. Il compare les
données spectrales avec les valeurs calculées par les formules quantiques
d’Einstein, de Nernst et de
Lindemann.
En 1892, Lord John
William Strutt Rayleigh (1842 – 1919) avait
montré qu’un dipôle, oscillant à la fréquence n0 et en
rotation à la fréquence nr dans un
plan perpendiculaire à celui des oscillations, émet ou absorbe aux deux
fréquences n0 + nr et n0 - nr. Compte tenu des énergies mises en jeu, les
bandes dues à la rotation s’observent dans l’infrarouge lointain[39] alors que celles dues aux vibrations apparaissent
dans le moyen infrarouge, les bandes de vibrations étant élargies par la rotation.
En étudiant le spectre
infrarouge de la vapeur d’eau, Bjerrum observe
une bande à nr = 5.1012 Hz (l = 60 mm) dans l’infrarouge lointain, qu’il attribue à la seule rotation de la molécule et un doublet
centré sur n0 = 5,2.1013 Hz dans le moyen
infrarouge (l = 5,8 mm) attribué simultanément à la rotation et à la vibration. Bjerrum
n’utilise pas encore la théorie des quanta mais l’électrodynamique classique et
d’après Rayleigh, les maxima du doublet devaient être observés aux
deux fréquences n0 + nr et n0 - nr, le calcul donnait 5,7.1013 Hz (5,3 mm) et 4,7.1013 Hz (6,4 mm) au lieu des 5,25 mm et 6,07 mm observées.
Les travaux de Bjerrum sur les
spectres moléculaires vont se poursuivre après le Congrès Solvay. L’analyse de
la structure fine des spectres nécessitait l’élaboration d’un modèle. Le choix
était difficile, en effet, les modèles statiques des chimistes[40], dans lesquels les atomes occupent des positions
bien définies constituant des édifices moléculaires rigides, étaient en
contradiction avec les modèles dynamiques des physiciens dans lesquels les
atomes oscillent[41]. Einstein avait
proposé de considérer les molécules diatomiques comme des dipôles constitués de
deux atomes de charges opposées.
« When the atoms are electrically charged, we must, according to Einstein, expect to find bands in their absorption and emission spectra at wave lengths corresponding to the frequencies of atomic oscillation. » [42]
Bjerrum confirmait
cette proposition par le fait que les spectres du dihydrogène (H2)
et du diazote (N2) ne présentaient pas de bandes infrarouges, ces
deux molécules ne possédant pas de moment dipolaire permanent. La molécule
diatomique devenait l’analogue d’un dipôle, une sorte d’haltère animée de deux
mouvements : une rotation autour de son centre de gravité à la fréquence nr et une oscillation à la fréquence n0 autour d’une position d’équilibre.
Le choix d’un modèle de
molécule était aussi conditionné par les solutions suggérées lors du Congrès,
il semblait nécessaire de quantifier le rotateur. Bjerrum[43] va
introduire la théorie des quanta dans son analyse des spectres moléculaires :
« As show by Nernst[44], it is a
necessary consequence of quantum hypothesis that as well as the vibrational
energy of atoms the rotational energy of molecule must vary discontinuously. » [45]
Il choisit la
quantification proposée au Congrès Solvay par Henrik Antoon Lorentz (1853 –
1928), physicien et mathématicien à l’Université de Leyde, et pose l’énergie
cinétique de rotation.
soit
On remarquera que n varie selon une suite arithmétique.
Il montre que cette
quantification de l’énergie de rotation[46] des molécules rend compte de certaines
caractéristiques du spectre d’absorption de la vapeur d’eau. Dans l’infrarouge
lointain, on observe un ensemble de raies équidistantes que Bjerrum suppose
espacées de , il en déduit J, le moment d’inertie de la molécule et r la distance interatomique[47].
En 1913, Paul Ehrenfest[48] (1880 – 1933), physicien allemand, proposera une
quantification différente, . Kemble[49] (1889 - 1984), dont nous
reparlerons ultérieurement, montrera que cette quantification était mieux
adaptée.
Toutes ces études
montraient d’une part, que la théorie quantique des chaleurs spécifiques des
solides d’Einstein pouvait
s’appliquer aux gaz et d’autre part que la spectroscopie infrarouge permettait
d’accéder à la structure des molécules.
Bjerrum va ensuite
étudier le spectre de la molécule de chlorure d’hydrogène HCl[50].
Ce spectre présente,
comme celui de la vapeur d’eau, un doublet vers 3,5 mm. D’après Rayleigh la différence
entre les maxima (n0 + nr et n0 - nr ) de ce doublet donne la fréquence de rotation (nrmp the most
probable frequency of rotation[51]) la
plus probable de la molécule HCl[52].
Figure 9 – Le spectre de la molécule de chlorure d’hydrogène HCl[53].
Des mesures plus
précises[54] permettaient une meilleure résolution du doublet
à 3,5 mm [figure 10] et mettaient deux nouveaux points en évidence :
® Les raies de rotation ne constituaient pas une progression arithmétique
régulière, contrairement à ce que donnaient les relations précédentes.
® Il apparaissait une structure fine du doublet qui montrait que la molécule
pouvait absorber à des fréquences différentes de nr.
Ceci allait permettre
de nouveaux développements de la recherche spectroscopique. L’étude de la structure
fine des deux bandes d’absorption observées vers 3,5 mm de HCl[55] fut capitale pour l’avenir de la spectroscopie
moléculaire.
Par ces travaux,
Bjerrum contribua à convertir l’étude des
bandes infrarouges en indicateurs de la structure moléculaire : calcul des
distances interatomiques, du moment d’inertie. Le modèle dipolaire de la
molécule fut alors accepté et Bohr[56] y fera
référence pour construire son modèle de la molécule de dihydrogène (H2).
Figure 10 – Structure fine du spectre du chlorure d’hydrogène[57].
Dans le même temps, Niels Bohr (1885 – 1962), alors à Cambridge,
chez Lord Ernst Rutherford (1871 –
1937), mettait en œuvre une théorie quantique des spectres atomiques. Les
approches étaient très différentes puisque le travail de Bohr visait à
l’établissement de la structure de l’atome. Ce n’est que tardivement dans son
étude qu’il en vint à se tourner vers les spectres atomiques, alors que Bjerrum, lui, partait de l’étude des
spectres.
En 1913, il fait
paraître un article[58] dans Philosophical Magazine, intitulé « On the constitution of
atoms and molecules. » dont voici le résumé :
« Dans le présent mémoire nous nous sommes efforcés
de développer une théorie de la constitution des atomes et des molécules, sur
la base des idées introduites par Planck dans le
but de rendre compte du rayonnement du corps noir et de la théorie de structure
des atomes proposée par Rutherford pour
expliquer la dispersion des particules a par la matière. » [59]
De l’examen des
spectres de l’atome d’hydrogène, il tire les conclusions suivantes :
« – L'énergie de rayonnement n'est pas émise
(ou absorbée) de façon continue, comme l'admet la théorie électrodynamique
classique, mais seulement au cours du passage d'un système atomique d'un état
stationnaire à un autre état stationnaire.
– L'équilibre dynamique
d'un système, dans ses états stationnaires, est régi par les lois de la
mécanique ordinaire, mais ces lois ne valent pas dans le passage d'un état
stationnaire à un autre état stationnaire.
– Le rayonnement émis au
cours de la transition du système d'un état stationnaire à un autre état
stationnaire est monochromatique ; la relation entre sa fréquence n et l'énergie totale émise est donnée par la loi W
= hn.
– Les différents états
stationnaires d'un système constitué d'un électron tournant autour d'un noyau
chargé positivement sont déterminés par la condition suivante : le rapport de
l'énergie totale nécessaire pour réaliser une configuration donnée du système à
la fréquence mécanique w du mouvement de rotation de l'électron est un multiple entier de h/2. Si
l'on admet que l'orbite est circulaire, cette condition est équivalente à la
suivante : le moment cinétique de l'électron est un multiple entier de
h/2p. »
De la quantification, a
priori, du moment cinétique, on peut déduire l'existence d'orbites stationnaires.
La condition de quantification introduit le premier nombre quantique : le
nombre quantique principal n qui caractérise les différents niveaux
d'énergie. En 1916, le modèle s'affine par l'introduction d'orbites elliptiques
proposées par Arnold Sommerfeld[60] (1868 – 1951), professeur de physique théorique à
Munich, ajoutant ainsi un deuxième nombre quantique : le nombre quantique
azimutal l qui est lié à la quantification du moment cinétique orbital
des électrons. Enfin, pour justifier du dédoublement des raies spectrales des
éléments alcalins dans un champ magnétique, un troisième nombre quantique est
introduit : le nombre quantique magnétique ml qui provient de
la quantification du moment magnétique.
Mais ce modèle qui est
compatible avec les données du spectre atomique de l'hydrogène, enfreint les
lois de la physique classique. Il n'explique en rien le fait que l'électron,
assigné à circuler sur cette orbite, le fasse sans perdre d'énergie.
Bohr souhaitait
intégrer l’étude des spectres moléculaires dans le cadre de sa théorie qui
permettait l’interprétation du spectre atomique de l’hydrogène avec tellement
d’élégance.
Les deux modèles
étaient pourtant différents. Contrairement aux atomes, les molécules ne
possèdent pas d’orbite stationnaire. Les fréquences émises par les molécules
sont identifiées aux fréquences mécaniques des mouvements de vibration et de
rotation. Dans le cas des atomes, la fréquence émise est donnée par la
différence d’énergie entre deux orbites stationnaires et non par la fréquence
de rotation d’un électron sur une orbite stationnaire.
Les différences
mentionnées précédemment devenaient encore plus confuses dans le cas des
spectres électroniques moléculaires. Ceux-ci impliquaient des mouvements
d’électrons mais ne ressemblaient ni aux spectres infrarouges des molécules, ni
aux spectres atomiques.
Bjerrum connaissait le travail de Bohr et pensait
qu’il serait peut-être nécessaire d’appliquer la condition de Bohr aux
spectres moléculaires :
« If the result of new and more complete investigations should turn out to be incompatible with considerations like those used above [equating mechanical and radiation frequencies], this might probably indicate that we have to resort to similar revolutionary intuitions for explaining the radiation connected with the vibrations and rotations of molecules as has been done recently by N. Bohr in the case of electronic radiation. » [61]
Dans un article non
publié[62], Bohr tenta
d’éliminer la différence entre oscillateur et rotateur d’une part et le
traitement de l’atome d’hydrogène d’autre part. La condition de Bohr, , convenait au traitement de la rotation et de
l’oscillation si on se limitait aux transitions observées entre deux niveaux
successifs. Dans le même temps, Sommerfeld[63] publiait un article concernant la généralisation
des conditions quantiques aux systèmes à plusieurs degrés de liberté. Bohr le
trouva des plus intéressants et préféra approfondir dans la voie de Sommerfeld
avant de poursuivre dans « l’unification ».
En 1916, Schwarzschild[64] est le premier à tenter d’appliquer la condition
de Bohr aux spectres moléculaires observés
dans le visible c’est à dire aux spectres électroniques, tout en continuant
d’utiliser le modèle de Bjerrum dans
l’infrarouge.
Les deux théories
resteront distinctes jusqu’en 1918, puis, tout en restant conceptuellement
différentes, elles seront fondues dans un même formalisme.
A partir de fin 1919,
les chercheurs vont travailler sur les spectres à l’aide du principe de
correspondance[65] et de la
condition de Bohr.
Après la première
guerre mondiale Thorsten Heurlinger[66] élève de Hulthéen, professeur de physique à Lund en Suède, et Adolf
Kratzer[67], assistant de Sommerfeld, publient des articles qui généralisent l’usage
de la condition de Bohr, , aux spectres moléculaires dans le cas des
transitions entre deux états de vibration successifs.
Heurlinger[68] conçoit un modèle moléculaire résultant de la
superposition de différents mouvements et il exprime la fréquence
d’absorption comme suit :
Le premier terme
correspond aux transitions électroniques n’® n.
Le deuxième terme
correspond aux vibrations atomiques p’® p.
Le troisième terme
correspond à la rotation de la molécule m’® m.
Des observations
toujours plus précises donnaient matière à des explications théoriques
affinées.
En 1920, E. S. Imes[69], montre que la double bande de HCl est
dissymétrique et qu’elle présente deux structures fines à 1,76 mm et 3,46 mm [figure 11]. Kratzer[70] interprète la dissymétrie du spectre en
assimilant la molécule à un oscillateur anharmonique, avec Loomis[71], de l’Université de New York, ils montrent que le
dédoublement en paires de la structure fine est du à la présence d’isotopes du
chlore dans la molécule de chlorure d’hydrogène (H35Cl et H37Cl).
Par ailleurs, se posait le problème de la signification de la raie manquante.
Figure 11 – Effet isotopique sur le spectre du chlorure d’hydrogène.
En 1923, Hendrik
Kramers, collaborateur de Bohr, et Wolfgang Pauli[72] (1900 – 1958) qui travaillait avec Sommerfeld, introduisent des nombres quantiques de rotation
demi-entiers[73] et ils proposent la relation suivante pour
l’énergie de rotation. Mulliken en souligne
l’importance dans l’article [206][74].
avec ;
J le moment d’inertie.
La nature des
différentes composantes de cette relation ne sera comprise que fin 1925, début
1926, quand Samuel Abraham Goudsmit (1902 – 1978) et George
Eugène Uhlenbeck[75] (1900 - 1988), deux physiciens néerlandais, mettront en évidence
l’existence du spin électronique. Ainsi, représente
le moment cinétique total ;
la
projection du moment cinétique électronique le long de l’axe joignant les deux
noyaux de la molécule et
sa
projection perpendiculairement à l’axe de la molécule.
Kratzer tente
d’expliquerinterpréter certaines caractéristiques des spectres en posant e = ½ comme étant un nombre quantique
électronique et attribue le paramagnétisme de O2 au moment cinétique
. Ces conclusions, bien qu’incorrectes, ouvriront
la voie à des développements ultérieurs. Il devenait nécessaire de comprendre
le sens de ces nombres quantiques.
Au début des années 1920,
les chercheurs étudiaient les spectres de bandes observés dans l’infrarouge, le
proche ultraviolet et le visible. Sommerfeld[76] et d’autres pensaient que les spectres
ultraviolet et visible étaient liés aux configurations électroniques de
molécules ainsi qu’à leur état de rotation et de vibration. La rotation et
vibration des molécules étaient étudiées par l’intermédiaire des spectres
moléculaires tandis que la configuration électronique des molécules était
étudiée indépendamment par les chimistes (Lewis par exemple) sans qu’aucun lien
formel ne soit établi entre la théorie de valence de Lewis et l’étude
des spectres. Précisons tout de même que dans son article de 1916, Lewis,
comparant son modèle à celui de Bohr, soulignait :
« Bohr in his electron moving in a fixed orbit, have invented systems containing electrons of which the motion produces no effect upon external charges. Now this is not only inconsistent with the accepted laws of electromagnetic but, I may add, is logically objectionable, for that state of motion which produces no physical effect whatsoever may better be called a state of rest. » [77]
Il remettait en cause
l’hypothèse des orbites électroniques stationnaires, pilier de l’interprétation
des spectres atomiques :
« It seems to me far simpler to assume that an electron may be held in the atom in stable equilibrium in a series of different positions, each of which having definite constraints, corresponds to a definite frequency of the electron the intervals between the constraints in successive positions being simply expressible in terms of ultimate rational units (see Lewis and Adams, Physical Review, 3, 92 (1914)). » [78]
Il fallait élaborer un
modèle moléculaire qui rende compte des différents faits expérimentaux de la
spectroscopie et de la chimie.
« The scientific study of nature by experiment, and theory deduced from experiment, forms the truest basis for philosophy » [79]
· Sa famille.
R. S. Mulliken conserve
trois éditions américaines d’un livre intitulé Conversations on Chemistry[80]. Sur la page de garde, sont apposées les
signatures de Moses Jonathan Mulliken, le grand-père de R. S.
Mulliken ; Samuel Parsons Mulliken, datée de 1879, son père et Robert
Sanderson Mulliken (1896 - 1986) lui-même, datée de 1980.
Vers l’âge de quatorze,
quinze ans, armé du fameux Conversations on Chemistry, Samuel P.
Mulliken entreprend quelques expériences
avec son ami Arthur Noyes (1866 – 1936). Tous deux compléteront leurs travaux précoces
par des études plus sérieuses au Massachusetts Institut of Technology (MIT).
Ils prépareront ensuite un doctorat à Leipzig. Samuel Mulliken deviendra
professeur de chimie organique au MIT tandis que Arthur Noyes, après quelque
temps passé au MIT, s’installera à Pasadena où il contribuera au développement
du California Institut of Technology (Caltech).
La mère de Mulliken, Mary-Helen von Noé, est issue d’une famille
d’artistes. Mulliken était proche de sa mère. Dans son autobiographie, il
souligne qu’elle eut une grande influence sur lui en lui inculquant le sens de
la beauté et de la justice. Cela ne lui donna pas pour autant le sentiment que
les lois de la nature étaient empreintes d’une beauté particulière,
contrairement à ce que d’autres scientifiques pensaient, mais il resta très
attaché à la nature et à la poésie.
·
1896 - 1917.
Robert Sanderson
Mulliken est né à
Newburry dans le Massachusetts, le 7 juin 1896, dans la maison familiale
édifiée en 1810 par son arrière-grand-père Samuel. Il y fait ses études
primaires et secondaires qu’il termine en 1913. A l’occasion de la remise des
diplômes de fin d’études, les élèves les plus brillants rédigeaient un essai,
c’est ainsi que Mulliken eut l'opportunité de faire sa première ‘communication
scientifique’ intitulée « Electrons, what they are and what they do » [81], cette question le poursuivra toute sa vie.
Comment Mulliken choisit-il
de faire des études scientifiques ?
Il est bien entendu
très difficile d’évaluer l’influence du milieu familial de Mulliken sur ces
choix de vie, et, bien que son père fut chimiste, Mulliken dira qu’il
n’en ressentit pas l’influence directe. Il explique ces choix de la
façon suivante :
« Why do men go into the physical sciences, others into biological or humanistic sciences? Presumably the decision is based on a judgment of relative value or importance. The physical scientist is inclined to think that his is the only basic science, since his aim, as he sees it, is to find out whatever he can about the general principles of the universe. » [82]
Vers l’âge de seize
ans, influencé par l’étude en classe des principes régissant l’évolution des
espèces, il développe une vision hautement déterministe et matérialiste du
monde au sein duquel, comme il le dit lui-même, les processus biologiques sont
soumis à « d’obscures
opérations physico-chimiques » [83]
Mulliken souhaite
alors se consacrer aux sciences physiques, restait la question du choix de la
physique ou de la chimie.
· 1917 – 1919.
« I think I can say that I loved molecules in general, and some molecules in particular » [84].
Mulliken entreprend
des études supérieures scientifiques au MIT où il privilégie la chimie.
En 1917, il reçoit un
diplôme de chimie après avoir effectué ses premiers travaux de recherche[85] portant sur les dérivés organiques chlorés, sous
la direction du Professeur James F. Norris. Il étudie un peu les sciences de l’ingénieur,
fait quelques stages dans l’industrie puis décide finalement de s’orienter vers
la préparation d’un doctorat.
· 1919 –
1923.
Mulliken ‘aimait’
les molécules mais il était aussi très intéressé par l’étude du noyau atomique.
Il trouvait que l’enseignement proposé au MIT était plutôt vieux jeu et
constatait que personne, aux Etats Unis, ne semblait concerné par l’étude du
noyau atomique mis à part le professeur W.D. Harkins de
l’Université de Chicago. De 1919 à 1923, Mulliken va travailler à Chicago où il
obtient son doctorat[86] en 1921, sous la direction de Harkins. De 1921 à
1923, il continue ces travaux de recherches à Chicago en tant que National
Research Fellow et publie quelques articles sur la séparation des isotopes du
mercure[87].
A l’issue de cette
formation, Mulliken pensait :
« I have become neither a proper experimentalist nor a proper theorist,
but a middleman between experiment and theory - and between chemistry and
physics. » [88]
Après sa thèse, il
souhaitait continuer son travail sur le mercure, mais le National Research
Council lui demanda de choisir une autre institution pour y faire quelque chose
de différent. Il envisage alors d’aller à Cambridge, chez Lord Ernst Rutherford
(1871 – 1937), mais sa candidature n’est pas retenue, la raison
invoquée étant son manque de formation en physique. Norman Hilberry, un ami physicien lui donne alors l’idée
d’étudier l’effet isotopique sur les spectres moléculaires.
Comme nous l’avons dit
au paragraphe [2.3.5.2], l’effet isotopique était prévu par la théorie de
quanta. Les premières observations avaient été effectuées en 1920 par F.W.
Loomis[89], aux Etats-Unis et par A. Kratzer[90], en Allemagne, sur les spectres infrarouge du
chlorure d’hydrogène qui est composé d’un mélange de H35Cl et H37Cl.
Mulliken commence à
lire les différentes publications consacrées à la spectroscopie : le livre
de Foote et Mohler[91] sur « L’origine des spectres » ;
le fameux livre de Sommerfeld[92] que tous les chercheurs se devaient de connaître,
comme le souligne Mulliken, Kratzer et Loomis avaient
collaboré au chapitre portant sur les spectres de bandes ; et plus
particulièrement les articles portant sur les molécules dont les atomes existaient
sous forme de différents isotopes. Il pensait possible l’observation de cet
effet sur les spectres électroniques. Son attention se porte notamment sur un
article de Wilfried Jevons[93] du King’s College de Londres, qui avait étudié le
spectre de la molécule BN (nitrure de bore).
Il est ainsi amené à
travailler sur les spectres moléculaires. Ce domaine était encore peu développé
mais le contexte devenait de plus en plus favorable. Il est accepté au
Jefferson Physical Laboratory du département de Physique de Harvard où le
Professeur Frederick A. Saunders (1875 –
1963) et Theodore Lyman travaillaient activement en spectroscopie expérimentale. Il y
avait aussi le Professeur E. C. Kemble, physicien théoricien particulièrement intéressé
par la spectroscopie moléculaire et la mécanique quantique. Le projet de
recherche que Mulliken se
proposait d’entreprendre sur les spectres moléculaires arrivait à point nommé.
Se sentant peu compétitifs vis à vis des européens, les scientifiques
américains abandonnaient peu ou prou l’étude de l’atome. Fort de leur
compétence en astronomie[94] et en spectroscopie, ils décidaient de s’attacher
au développement de la spectroscopie moléculaire. Kemble, Birge (Berkeley), Loomis (New-York), Colby (Michigan)
et Page (Yale) rédigeaient un rapport pour
le National Research Council sur l’état des travaux concernant les molécules
diatomiques. Mulliken s’inscrivait parfaitement dans cette stratégie.
D’après Mulliken, l’ensemble des travaux portant sur la
spectroscopie moléculaire restait assez désordonné, certains aspects des
spectres restant inexpliqués par la théorie des quanta. Sommerfeld faisait
lui-même remarquer :
« Il est difficile de donner une vue d’ensemble des
faits observés jusqu’ici, ces expériences ayant été effectuées sans ordre ni
méthode. » [95]
De 1923 à 1925,
Mulliken publie
plusieurs articles consacrés à l’étude de l’effet isotopique sur les spectres
moléculaires : [9], en 1923 ; [10] – [11] – [12], en 1924 ; [15] – [16] –[18] – [21], en
1925.
Mulliken ne
connaissait pas grand chose en spectroscopie. Dès son arrivée à Harvard, le
Professeur Saunders lui montre
comment procéder pour enregistrer et analyser les spectres. Il commence à
travailler sur les spectres de Jevons. Mulliken entreprend
de faire des photographies du spectre de BN, de le mesurer et de l’analyser.
Les résultats publiés dans l’article [9] étaient en accord avec ceux de Jevons
sinon qu’il trouva d’autres bandes correspondant à l’isotope plus léger 10B.
Une étude plus poussée[96] amenait à des conclusions intéressantes.
« I found, instead, that if we assume that the smallest vibrational
quantum number was not 0 but ½, the difference in frequency between the origins
band of the two isotopes, now called (½, ½) was explained. » [97]
De plus, Mulliken constatait
un meilleur accord avec la théorie si le spectre était celui de BO (monoxyde de
bore) plutôt que celui de BN[98]. Tout ceci sera repris dans l’article [16].
Finalement, deux points
émergeaient :
® les bandes BN étaient très probablement des bandes BO.
® l’énergie
minimale de vibration n’était pas 0 mais ½ quantum.
Nous développerons le
raisonnement de Mulliken en
commentant les articles [15] et [16].
Ces deux découvertes
lui donnèrent de l’assurance et il
écrivit à la revue Nature pour faire part de ses conclusions concernant le fait que les bandes BN
étaient en fait des bandes BO. Jevons répliqua
dans une lettre envoyée à Nature :
« That of course the bands are BN not BO. » [99]
Mulliken se
demandait s’il fallait ou non réécrire à Nature pour défendre ses résultats, mais, comme il avait
décidé d’aller en Europe durant l’été 1925, il écrivit à Jevons pour le rencontrer. Lors de
leur rencontre, Jevons lui apprit que sa lettre à Nature n’était pas son fait mais celui du département
de recherche dans lequel il travaillait et la discussion fut close.
Durant cette
controverse, Mulliken avait
commencé une étude systématique de l’effet isotopique sur les spectres
moléculaires dans une série d’articles intitulée « The isotope effect
in band spectra » [100].
Dans le premier article
de la série[101], Mulliken développe
la théorie de l’effet isotopique qui lui servira à l’étude des spectres de
diverses molécules.
« Any discussion of the isotope effect in band must be base on
the theory of band spectra in general. » [102]
Cette théorie générale,
c’est la théorie des quanta appliquée à l’étude des spectres et développée dans
la quatrième édition du Atombau und Spektrallinien de Sommerfeld[103].
Mulliken précise
les connaissances alors disponibles :
® Loomis et Kratzer avaient
montré que seuls les termes spectraux relatifs à la vibration et à la rotation
des molécules diatomiques dépendaient de la masse réduite m ( avec M et M’ la masse
des noyaux atomiques).
® La fréquence[104] de n’importe quelle raie spectrale pouvait être
considérée comme la somme d’un terme électronique (e), d’un terme de vibration[105] (n)
et d’un terme de rotation[106] (m).
D’où la relation :
Dans le visible, les
spectres de bandes sont dus à des changements électroniques, comme dans les cas
des spectres atomiques, on peut donc y observer des multiplets. L’ensemble des
raies constituant un multiplet à la fréquence ne est appelé système de bandes.
Les termes
électroniques étant indépendants de la masse réduite, ne,
la fréquence de la transition électronique est identique à tout système de
bandes correspondant à deux ou plusieurs isotopes, pour deux isotopes[107]
on a :
avec
Ces systèmes de bandes
possèdent donc la même origine que l’on peut définir par , l’origine d’une bande étant définie par
.
Chaque bande est donc
déterminée par un couple (n’, n’’), sa structure fine est définie par les
changements de m :
m’®m’’ limités d’après le principe de correspondance par
les règles de sélection (m’’ - m’) = ±1 ou 0.
Les spectres
électroniques, en permettant de préciser l’origine d’un système de bande,
donnaient le premier mode direct de dénombrement absolu des niveaux d’énergie
de vibration. C’est ainsi que Mulliken avait
trouvé les nombres quantiques de vibration 1/2 ; 3/2 ; 5/2 … au lieu
de 0 ; 1 ; 2… pour la molécule BO.
Dans le deuxième
article[108] de la série, Mulliken poursuit
l’étude du spectre de la molécule BO [figure 12’].
Les figures 12 et 12’
nous montrent que le spectre de BO présente un niveau électronique fondamental
et deux niveaux électroniques excités. A
chaque niveau électronique correspond un système de bandes (a et b). La précision des nouvelles mesures confirmait que les bandes supposées
être issues de la molécule BN étaient bien des bandes BO. L’effet isotopique
relatif à la vibration était de nouveau mis en évidence. Nous observons aussi
que les niveaux d’énergie sont décalés, excepté les niveaux représentés en
pointillés (n =
0), origine des systèmes de bandes. Mulliken établit
des relations vérifiées par les fréquences des bandes correspondant aux
différents isotopes[109], la différence observée entre les termes
constants semblait mettre en évidence un effet isotopique électronique
important mais :
« This vanishes, however, if one makes the assumption that the
minimum values of n’ and n’’ are not zero but ½. This result makes probable the
existence of half-integral
vibrational quantum numbers in BO, and of a null-point vibrational energy of ½ quantum for BO (and doubtless for other molecules) » [110]
Figure 12 – Description de la figure 12’ (article [16]).
Figure 12’ – Les niveaux d’énergie de la molécule BO[111].
Mulliken confirmait
ainsi expérimentalement que la valeur minimale de l’énergie de vibration était
bien 1/2. Ceci restait inexpliqué par la théorie des quanta et ce n’est en 1925
que Heisenberg[112] confirmera
ce fait grâce à la théorie quantique.
A la fin de cet
article, Mulliken aborde
l’existence d’analogies entre les spectres moléculaires de BO et de CN et le
spectre atomique du sodium (Na).
« There is considerable evidence for the existence of an analogy
between CN and BO, both chemically unsaturated « odd molecules », and
the Na atom. In all three cases, there are nine electrons outside the nuclei
and K electrons. The CN molecule, like BO, emits two band systems having a
common final state, which is in all probability the normal state of the
molecule, as probably also in BO. The a and b systems of BO then correspond to electronic resonance potentials
2.9 and 5.3 volts, and the red and violet bands of CN to 1.8 and 3.2 V.
There may be compared with 2.10 and 3.74 V for the Na resonance potentials
corresponding to the first two lines (1s – 2p and 1s – 3p) of the principal
series of Na. – Note that the ratio of the second to the first is 1.8 in all
cases. The ‘forbidden’ transition 2p – 3p in Na is furthermore paralleled by
the absence in either BO or CN of a conspicuous band system corresponding to an
analogous transition from the upper to the lower of the two excited electrons
levels of the molecule. The occurrence in Na in low intensity of forbidden
lines of this type is, however, matched in BO by the appearance of the weak b®a system of bands. »
[113]
La comparaison des
spectres suggérait la possibilité de répartir les électrons de la façon
suivante : les 8 premiers électrons de BO et CN sont distribués autour des
deux noyaux sur deux orbites 21 et 22 comme l’octet de Na ; le neuvième électron
est plus faiblement lié, par exemple dans une orbite 31 comme dans
le cas de Na.
« Such binuclear octets would be in line with the probable
structure of molecules of the HCl type, and with Langmuir’s suggestion as to the structure of N2, CO, CN ion, and the like. » [114]
Certes, les spectres
moléculaires impliquaient la rotation et la vibration des molécules, mais les
efforts de Mulliken, pour comprendre la structure des spectres de
bandes, l’amenaient à réfléchir davantage à la structure électronique des
molécules en la comparant à celle des atomes. Petit à petit Mulliken allait
glisser vers l’étude des états électroniques de la molécule avec peut-être
toujours cette même question « Que font les électrons dans une molécule ? »
L’article [22] inaugure
le changement d’orientation et introduit deux séries d’articles.
La première série est
intitulée « Systematic relations between electronic structure and
band-spectrum structure in diatomic molecules. » : [23] - [24] – [25]
– [26].
La deuxième série est
intitulée « Electronic states and band-spectrum structure in diatomic
molecules. » : [27] – [28] – [29] / [30 ] – [33] – [37] – [43] –
[50].
Dans « Atombau und Spektrallinien », plusieurs remarques concernant la ressemblance
entre les états électroniques des atomes et ceux des molécules, avaient attiré
l’attention de Mulliken. Sommerfeld avait
remarqué que dans les régions visibles du spectre de H2, il existait
des analogies avec les raies de la série de Balmer de l’atome
d’hydrogène. Fowler[115] avait mis en évidence l’analogue des séries de
Rydberg des atomes en étudiant le spectre
de la molécule He2. Certaines similitudes avaient été soulevées dans
le spectre de la molécule H2, par Rudolf Mecke[116], de Bonn et par Birge[117], en Californie. C’est Mecke qui en fit le premier
une analyse systématique en émettant l’hypothèse d’une analogie des moments
cinétiques.
« Mecke assumed that the angular momentum of the emitting electron and of the nuclei, in molecules, are respectively analogous, in determining multiplet structure, to the angular momentum of core and of emitting electron in atoms. » [118]
La compréhension des
spectres de bandes passait par la création d’un modèle moléculaire, et si l’on
savait expliquer un grand nombre de caractéristiques des spectres de bandes,
aucune théorie n’était disponible pour expliquer les états électroniques d’une
molécule (moment cinétique nucléaire et électronique).
De fin 1924 à 1926,
Mulliken va
analyser et classer les bandes d’un grand nombre de spectres.
Alors qu’il avait
économisé un peu d’argent, il passe l’été 1925 en Europe où il rencontrera de
très nombreux spectroscopistes, Hund fera
remarquer qu’il abordait les chercheurs avec la plus grande aisance sans faire
état d’une quelconque hiérarchie, ce qui n’était pas l’habitude en Allemagne.
Nous avons regroupé ces différentes rencontres dans le tableau suivant.
Angleterre |
R. C. Johnson et W.
E. Curtis (King’s Collège London University) Lord Rayleigh (présenté par Jevons) A. Fowler (Professeur d’Astrophysique au Imperial College) Professeur T.R.
Merton (Oxfod) |
France |
Docteur F. Baldet
(Observatoire de Meudon) |
Allemagne |
Professeur H.
Kaiser auteur du Handbuch der Spektroskopie, Mecke et le Professeur H.
Konen (Bonn) Professeur A.
Kratzer (Munster). Rudolf Mecke à
l’Institut de physique de Bonn. Professeur James
Franck ; F. Hund (Assistant de Born) (Göttingen : l’Institut de Physique
Théorique Max Born) Professeur H. Paschen
(Technische Hochschule, Berlin) ; Professur Peter Pringsheim et Dr Boris
Rosen son assistant (Université de
Berlin) |
Danemark |
Profeseur N. Bohr (Copenhague) |
Suède |
Professeur Erik
Hulthén (Lund) |
Ffin 1926, Mulliken est nommé
professeur assistant de Physique à Washington.
« My efforts towards a better understanding and classification of the structures of bands led naturally to attempt also to understand molecular electronic states as more or less like those of atoms. » [119]
Dans cet article, Mulliken met en évidence ce qu’il
appelle, « A
class of one-valence-electron emitters of band spectra ». Ce sont deux
séries de molécules :
I : BeF ; BO ; CO ; CN ; N2
.
II : MgF ; AlO ; SiN.
Les spectres des
molécules d’une série présentent, non seulement des similitudes entre eux, mais
des similitudes avec les spectres de certains atomes. L’analyse des analogies
permet à Mulliken de classer
les spectres d’après le nombre d’électrons de valence de la molécule.
Dans la série I, les
molécules possèdent trois niveaux d’énergie et les raies des systèmes de bandes
peuvent-être exprimées comme une combinaison de trois termes
électroniques [figure 13].
® Un singulet N correspondant à l’état fondamental.
® Un doublet A correspondant au premier état excité.
® Un singulet B correspondant au deuxième état excité.
Mulliken suppose
que dans la première série I, les niveaux sont analogues aux niveaux des éléments alcalins, avec les états N et B
similaires à un état s,
tandis que dans l’état A on a l’analogue d’un état p inversé. [nous reparlerons de cette inversion au paragraphe [4.3.3.3.3]).
Dans la série II, les molécules possèdent une couche électronique
supplémentaire.
La série I est analogue au Li (lithium) et la série
II analogue à Na (sodium).
Après avoir étudier ces
deux séries semblables aux éléments alcalins, il étend son étude à CO, NO, N2,
SiO, semblables aux alcalino-terreux, puis à NO similaire à Al.
Figure 13 – Analogies des niveaux d’énergie observés dans les atomes et les molécules[120].
D’après Mulliken, l’analogie pouvait être comprise dans les mêmes
termes que la description faite par Langmuir des
molécules N2 et CO.
Cet article est publié
avant l’avènement de la « nouvelle mécanique quantique ». Sur la
[figure 13], nous constatons que Mulliken caractérise les états des différents niveaux d’énergie de la
molécule par des termes moléculaires analogues aux termes atomiques. On peut
assimiler ces niveaux d’énergie à des « orbites moléculaires », les
précurseurs des orbitales moléculaires.
D’autres scientifiques
avaient travaillé sur les analogies entre les spectres atomiques et les
spectres moléculaires, R. Mecke et
H. Sponer en
Allemagne, Birge aux
Etats-Unis[121].
« Ainsi
dans toutes les molécules pour lesquelles nous possédons des données, nous
trouvons des séries de niveaux d’énergie qui sont en accord au moins
approximativement avec les formules des spectres de raies. C‘est pourquoi il me
semble que le temps est venu de procéder à la généralisation suivante qui n’est
de toute évidence fondée que sur les données de quelques molécules diatomiques,
et adaptée seulement à des cas précis. Les niveaux d’énergie associés aux
électrons de valence des molécules correspondent dans tous leurs aspects
essentiels à ceux associés aux électrons de valence des atomes. Les niveaux moléculaires peuvent être
désignés par s, p, etc.…, et les niveaux désignés par la même lettre peuvent
être représentés par les formules usuelles des spectres de raies et peuvent
avoir la même multiplicité que dans le cas des atomes correspondants (…) Or si
les systèmes des niveaux d’énergie de la molécule et ceux d’un atome
correspondant sont essentiellement semblables la structure électronique
responsable des deux systèmes doit aussi être essentiellement semblable, comme
cela a déjà été souligné par Mulliken et par
Mecke (…).
Or dans un atome, selon la théorie
admise, la « pénétration » de l’électron dans les orbites s est plus
grande que dans les orbites p. Si donc l’ électron (ou les électrons) de
valence des molécules que nous considérons ici se meuvent sur un parcours
allongé jusqu’à la région située entre les deux noyaux la plus grande
pénétration de l’orbite s diminuera la répulsion des deux noyaux et produira
ainsi un plus petit moment d’inertie. Ceci donne une image de l’électron de
valence selon laquelle c’est l’électron que se meut sur un parcours qui se
projette au-delà des parcours des autres électrons, et c’est ce qui donne à cet
électron entre les deux noyaux il joue un rôle défini dans la détermination de la force de la liaison chimique. » [122]
Fort de cette analogie,
Birge proposait donc que les niveaux
d’énergies associés aux électrons de valence des molécules diatomiques soient
nommés à l’identique des niveaux électroniques atomiques, par les symboles s, p, d, f,
et préconisait l’utilisation la
notation de Russel-Saunders[123] pour nommer les états électroniques moléculaires.
L’article de Birge donnera
l’impulsion au travail de Mulliken qui
débutera avec l’article [27].
Dans une série
d’articles les [23], [24] et [26] publiée dans Proceedings of the National Academy
of Sciences, Mulliken va
organiser et compléter les preuves qui confirment les analogies des spectres
atomiques et moléculaires. Il introduit trois postulats qui rendent compte des
spectres connus et permettent de prédire la structure de spectres inconnus.
Dans l’article [26], il pose la question du processus de formation des
molécules, c’est dans cet article qu’apparaît le concept d’électron
« promu »[124]
dont nous reparlerons par la suite.
Les premiers
articles ([27] – [28] – [29]) sont
basés sur la théorie des quanta tandis que par la suite ([30 ] – [33] – [37] –
[43] – [50]), Mulliken utilisera la théorie quantique. La publication dans une
même série d’articles de travaux utilisant deux théories différentes, laisse
supposer que Mulliken ne
semblait pas considérer la théorie quantique comme une révolution, mais plutôt
comme un outil qui allait lui permettre de poursuivre et de compléter ces
recherches sur la structure électronique des molécules et l’étude de leurs
spectres. Dans ce paragraphe nous analyserons les trois premiers articles.
Dans le premier article[125] de la série, Mulliken rappelle
les différents modèles moléculaires développés dans le cadre de la théorie des
quanta. Ainsi, la molécule diatomique fut traitée successivement comme un
simple rotateur, comme un oscillateur harmonique puis comme un oscillateur
anharmonique. Deux grandeurs furent ensuite introduites e et s de même nature que les nombres quantiques électroniques. D’autre part,
comme le montre la [figure 13], un grand nombre de faits confirmait
l’analogie entre les états électroniques atomiques et moléculaires. Mulliken soulignait :
« Molecules do not necessarily behave like atoms; but it seems more reasonable, in the absence of evidence to the contrary, to suppose that they do in such respects behave like atoms. » [126]
Dans cet article, il
expose les trois postulats qu’il avait déjà proposés dans un article précédent[127] et qu’il avait alors appliqués[128] au spectre de ZnH, CdH, et HgH. Mulliken en
justifie l’origine empirique et insiste sur leur nécessité pour comprendre la
structure et la formation des molécules.
« I – The electronic states of molecules can be characterized, in accord with Birge’s[129] recent postulate by a term-designation (such as 1S or 2P, in notation of Russel and Saunders[130] carrying implications similar to those for an atom; in particular, this is associated with an electronic quantum number je whose numerical value is identical (at least substantially) with Sommerfeld’s atomic inner quantum number j for the given term-type ; or in some cases each atom individually may possess a je, and in such cases the electronic states of the atom are to be classed with those of an alkali metal.
II – The vector or vectors je set
themselves parallel (r
components) or perpendicular (s
components), or nearly so, to the vector m, and the rotational energy
term is given in the general case substantially by a Kratzer-Kramers and Pauli formula, .
III – The molecular j has integral values for odd
molecules and half-integral values for even molecules, and is subject to the
selection principle , the relative intensities for these three transitions being
governed by the correspondence principle. » [131]
A la fin de cet article
une note est rajoutée qui annonce « la nouvelle mécanique quantique »[132]. Il précise que d’après la nouvelle théorie, le
terme doit être remplacé par
[133] et souligne l’importance du récent article de
Hund (1896 – 1997)[134].
« Hund has discussed the
interpretation of the phenomena of electronic multiplicity and of fine
structure in band spectra. Hund’s theoretical deductions have a close relation
to the more empirical results of the present series of papers. » [135]
Hund travaillait alors à Göttingen, il était assistant de Born et
parfaitement informé des travaux de Heisenberg[136] sur lesquels son article était basé. Nous
discuterons de ces travaux ultérieurement [4.2].
Dans l’article suivant[137], Mulliken étudie
l’intensité des spectres en essayant de comparer la théorie et l’expérience.
Comme le montraient ses travaux précédents[138], l’absence de certaines raies, des relations
systématiques dans les molécules à nombre pair ou impair d’électrons,
impliquait des termes de rotation de la forme . D’autres spectres de bandes faisant intervenir
des termes de la forme
. Dans le
premier cas, Mulliken estimait
qu’il était nécessaire de faire une hypothèse concernant la nature de s :
« s is an electronic quantum number which is correlated with a precession about the internuclear axis. » [139]
Cette hypothèse était
étayée par les règles de sélection déduites de l’observation des spectres[140] et par l’article de Hund[141].
Mulliken approfondira le sujet dans l’article [30].
Mulliken s’informait des travaux des spectroscopistes du monde entier. Il
avait appris l’allemand et le français et pouvait donc lire les articles
correspondants :
« Through this reading and study, I developed a broad general familiarity with, and understanding of, band spectra as interpreted by old quantum theory. » [142]
Les spectres de bandes,
leur lien avec la structure vibrationnelle, l’intensité des bandes étaient bien
expliqués à l’aide de la théorie des quanta. Mulliken avait ainsi classé les
données des spectres moléculaires et interprété tout ce qui pouvait l’être et
déjà les niveaux électroniques ainsi que les analogies avec les structures
atomiques étaient parfaitement précisés. L’été 1927, Mulliken retourne
en Europe. A Göttingen, il retrouve
Hund avec lequel il a de nombreux
échanges à propos des molécules et de leur spectre. En visite à Zürich, il
rencontre E. Schrödinger qui lui
présente W. Heitler et F.
London. L’avènement de la théorie quantique allait ouvrir une nouvelle voie pour
accéder aux molécules.
Les molécules, objets quantiques.
« With the help of the new quantum mechanics, rapid progress is now being made toward the solution of the problems of valence and molecular structure. » [143]
Comme le souligne
Mulliken, les physiciens allaient s’attacher à appliquer
la nouvelle mécanique à la résolution du problème posé par la liaison chimique.
Avant d’étudier l’approche de Hund et
Mulliken, nous allons présenter d’autres approches.
Le 17 décembre 1926,
Bohr présente devant l'Académie Royale
des Sciences du Danemark, un article d'Oyvind Burrau qui a calculé
l'état fondamental de l’ion moléculaire hydrogène H2, la plus
simple des molécules, en résolvant l'équation de Schrödinger. [Annexe 1 : A.1.1]
La méthode mise en
œuvre par Burrau est la
première application de l'équation d'onde à l'étude d'une molécule, la bonne
corrélation des résultats avec l'expérience validait la nouvelle mécanique
quantique. Pourtant quand il fallait résoudre l'équation de Schrödinger dans le
cas de la molécule de dihydrogène (H2) qui possède deux électrons,
le problème changeait de nature. Il fallait alors tenir compte de l'énergie de
répulsion entre les deux électrons, la résolution de l’équation nécessitera la
mise en œuvre d’approximations. Se basant sur la connaissance empirique de la
structure et la réactivité des molécules, le chimiste va imaginer une solution
de l'équation d'onde qui donnera les meilleures valeurs de l'énergie du système
étudié.
En 1927, Walter Heitler
(1904 – 1981) et Fritz
London (1900 – 1954)[144], deux physiciens qui travaillaient alors à Zürich
chez Schrödinger et
vivement encouragés par ce dernier, publient un article de grande importance.
Cet article constitue la première application de la théorie quantique à un
problème de la chimie : quelle est la nature de la liaison chimique ?
Le modèle proposé est
basé sur le concept de résonance développé par Heisenberg[145] pour décrire l’atome d’hélium. Voici un extrait de l’article de Heitler et London :
« L'effet d'échange entre atomes neutres a
jusque-là soulevé des difficultés considérables pour son traitement théorique.
Alors que depuis longtemps on pouvait se faire une image simple des forces
d'attraction entre les ions, dans les atomes neutres la possibilité d'une
liaison non polaire apparaissait au contraire comme très difficile à comprendre
si l'on ne voulait pas invoquer des explications trop artificielles. Le
développement de la mécanique des quanta a fourni des approches tout à fait
nouvelles pour le traitement de ce problème. Tout d'abord, la distribution des
charges dans les nouveaux modèles est tout à fait différente (à savoir les
décroissances sont en er) de ce qu'elle est dans le modèle de Bohr. Ceci fait intervenir un tout autre jeu de forces
d'attraction entre atomes neutres. C'est un phénomène d'équilibre
caractéristique de la mécanique quantique qui intervient. Ce phénomène est
proche parent de l'équilibre de résonance établi par Heisenberg. Il est essentiel et décisif pour comprendre les
comportements entre atomes neutres. Nous établirons ces rapports dans le cas de
deux atomes H ainsi que deux atomes de He (…)
Nous nous fixons pour
tâche la détermination de la variation d'énergie que subissent deux atomes
neutres d'hydrogène dans l'état fondamental, lorsque nous les rapprochons l'un
de l'autre à la distance R (mesurée comme écartement de noyaux). Suivant que
cette énergie additionnelle augmente ou diminue lorsqu'on rapproche
progressivement les atomes, nous obtenons une attraction ou une répulsion....
Nous nous intéresserons aux solutions c qui correspondent aux perturbations des deux atomes H neutres, en état
fondamental, et en conséquence nous les remplacerons à titre d'approximation à
partir des fonctions propres bien connues de l'état fondamental de l'hydrogène.
Si l'électron 1 se trouve sur le noyau, a, il faut lui associer la fonction
propre classique de l'hydrogène... Comme fonctions propres non perturbées, nous
devons choisir celles qui signifient qu'un électron se trouve sur un noyau,
l'autre électron sur le second noyau. (Nous excluons d'emblée ici la
possibilité d'une ionisation; dans quelle mesure cela est justifié, nous ne le
montrerons que plus tard). Si on se représente sous forme d'un système unique
ces deux systèmes non encore couplés, on doit comme l'on fait, considérer le
produit de ces fonctions propres comme la fonction propre commune. Mais cela
est possible de deux façons différentes, suivant la distribution des 2
électrons sur les 2 noyaux. On a tout d'abord :
y1f2 ( 1 est sur a, 2 est sur b)
Mais on obtient également
à aussi bon droit :
y2f1 ( 2 est sur a, 1 est sur
b)
Les deux possibilités
correspondent à la même énergie du système global (double de l'énergie d
l'hydrogène). Il existe un cas de dégénérescence : tous les couples de
combinaison linéaires orthogonales de y1f2 et y2f1 :
a = ay1f2 + by2f1
b = cy1f2 + dy2f1
Ce résultat qu'on ne peut
décrire que de façon très artificielle avec les concepts classiques, est que
deux atomes neutres peuvent interagir de deux façons différentes. Nous sommes
encore très loin de comprendre réellement ce comportement spécifique. Mais il
est souhaitable de se faire au moins une idée claire de la façon dont cette
remarquable double indétermination vient à s'exprimer mathématiquement. La
chose essentielle est manifestement que le problème présente initialement une
dégénérescence à deux termes (1a et 1b), correspondant aux 2 possibilités
d'associer les électrons aux atomes neutres. (…)
L'ensemble du phénomène
est étroitement apparenté au phénomène de résonance en mécanique quantique,
traité par Heisenberg. Mais tandis que, dans le cas de résonance, les
électrons occupant des stades de mouvement différents d'une seule et même série
de fonctions propres échangent leur énergie, ici, des électrons de même degré
d'excitation (de même énergie), mais sur des systèmes différents de fonctions
propres (y et f), échangent leurs positions. Dans le premier cas, c'est l'apparition
réitérée de la même fréquence de discontinuité qui est caractéristique
(phénomène de résonance); dans le deuxième cas au contraire, il n'est pas
question de résonance. » [146]
Notons E0 l’énergie d’un atome d’hydrogène isolé. A chacune
des deux fonctions a = y1f2 + y2f1 et b = y1f2 - y2f1 correspond une valeur de l’énergie et
, où C (l’intégrale de Coulomb) et A (l’intégrale d’échange) sont négatives, avec A supérieure à C.
Figure 14 – Niveaux d’énergie de la molécule H2 dans le modèle d’Heitler et London.
Sur le diagramme
d'énergie [figure 14] on peut observer que l’énergie coulombienne, C, contribue peu à la stabilisation de la molécule.
London appellera, « énergie d'échange », l’intégrale A. A
cette époque, les physiciens et les chimistes voient dans cette énergie
d'échange l'origine de la liaison covalente, le terme d'échange provient du
fait que la résonance fait intervenir deux structures qui peut laisser croire
en la réalité de l'échange électronique. Ce concept était difficile à
appréhender et plus tard Heitler précisera :
« I think the only honest answer today is that the exchange is something typical for quantum mechanics, and should not be interpreted – or one should not try to interpret it – in terms of classical physics. » [147]
L'énergie de liaison
apparaît comme une énergie de résonance due à l'échange entre les deux
électrons. Le couplage des spins électroniques minimise l'énergie du système et
rend possible la liaison entre deux atomes d'hydrogène, on retrouvait ainsi le
modèle de Lewis.
« La théorie quantique de la liaison chimique
covalente dans les molécules diatomiques est tout à fait équivalente au concept
de la paire électronique de Lewis : deux
électrons libres de valence appartenant à deux atomes différents, peuvent, en
vertu de leur énergie d'échange, provoquer une attraction entre les
atomes. » [148]
La description de
Heitler et London sera
reprise et affinée, en particulier par l'introduction d'autres états de
résonance, les deux électrons près du noyau a ou près du noyau b.
Pour Heitler et London, l'échange n'est pas le seul facteur qui
intervienne dans la formation de la liaison chimique. En effet, en 1926,
Heisenberg[149] et Dirac[150] avaient montré que la fonction d'onde totale
décrivant les électrons devait être antisymétrique. La fonction d'onde
électronique totale est le produit d'une fonction des coordonnées spatiales (ys et ya) par la fonction de spin. Dans le traitement proposé par Heitler et
London, c'est la fonction ys qui conduit à la liaison, il faut donc que la fonction d'onde de spin soit
antisymétrique, c'est-à-dire que les deux électrons aient leur spin opposé.
London précisera :
« S'il n'y avait pas de spin électronique, le
principe de Pauli ne
permettrait que la solution antisymétrique avec répulsion entre atomes : la
liaison covalente ne se produirait pas. Le fait qu'existe une union chimique
covalente paraît en relation avec le principe de Pauli, reposer exclusivement
sur l'existence du spin électronique. » [151]
Ce traitement est le
premier qui donne une base théorique à la liaison covalente mais la formation
d'une liaison par paire d'électrons ne suffit pas à expliquer la structure
spatiale des molécules. Les chimistes ont, malgré tout, reconnu dans ce modèle
la formulation mathématique et dynamique du modèle statique conçu par Lewis, ce qui
contribua à son succès.
En septembre 1927,
Heitler rejoint Göttingen comme assistant
de Born et London, Berlin avec Schrödinger qui
succédait à Planck.
· Linus Pauling (1901-1994) est très tôt intéressé par la chimie, à 18 ans il lit
les articles de Lewis et
Langmuir.
En 1922, il choisit de
s'inscrire au California Institute of Technology (Caltech) car il pouvait y
obtenir un doctorat en trois ans au lieu de six à Harvard et qu’Arthur Noyes qui dirigeait
la « Division of Chemistry and Chemical Engineering », lui proposait
un petit salaire comme enseignant à temps partiel. Il obtient son doctorat sur
la détermination de la structure des cristaux par les rayons X.
En 1925, Pauling
connaissait bien la théorie des quanta et l'atome de Bohr-Sommerfeld. Il avait
suivi les quelques conférences que
Sommerfeld avait
faites sur l'ancienne mécanique quantique au Caltech.
En avril 1926, Pauling se rend en
Europe (Noyes lui avait
obtenu une bourse) pour apprendre la nouvelle physique théorique à l'Institut
de Sommerfeld à Munich
où il passe treize mois. Comme il le souligne, il était le seul chimiste et,
contrairement aux physiciens tel que Pauli et
Heisenberg, moins concerné par les problèmes
d'interprétation de la théorie quantique (dont débattaient les physiciens). Il
était convaincu que la nouvelle physique donnerait les bases théoriques à la
compréhension de la structure et au comportement des molécules. Il était très
intéressé par l’interprétation statistique de la fonction d'onde, proposée par
Born.
« I am now working on the new quantum mechanics, for I think that atomic and molecular chemistry will require it. I am hoping to learn something regarding the distribution of electron-orbits in atoms and molecules » [152]
Pauling passe un
mois du printemps 1927 à Copenhague chez Bohr et les
deux mois d'été à Zurich, où il rencontre Heitler et London.
Fin 1927, il retourne
aux Etats Unis, il est nommé professeur Assistant de Chimie Théorique au
Caltech, puis en 1931, professeur de Chimie Théorique.
Pauling avait donc
étudié les travaux Lewis et il
était aussi très attentif aux recherches de Heitler et London. Dans un article important[153], il précise que la valence chimique est soumise
au principe de Pauli[154] et à la
résonance quantique[155]
d’Heisenberg[156]. Pour autant, le concept de résonance utilisé par
Pauling a un sens très différent de celui d’Heisenberg. D’ailleurs Heitler et
London, bien qu’ils se soient inspirés du phénomène de résonance d’Heisenberg,
avaient déjà souligné que l’interaction des deux atomes neutres n’était pas un
phénomène de résonance[157].
Pauling trouvait le modèle d’Heitler et London tout à
fait intéressant et mettait l’accent sur son l’équivalence avec celui de Lewis.
Néanmoins, il lui semblait que la seule mécanique quantique ne résoudrait pas
le problème de la valence et en particulier, celui de la valence dirigée. Il
lui faudra trois ans pour résoudre le problème et introduire le concept
d’hybridation que nous décrirons plus tard.
Voyons comment Pauling
interprétait le phénomène de résonance. Lorsqu’on ne peut pas attribuer de
structure univoque à une molécule, on envisage sa structure réelle comme
intermédiaire entre plusieurs formes limites, on dit alors que la molécule est
dans un état de résonance. Ce concept de résonance est au centre de la théorie
de la liaison de valence bien que Pauling le
considérât comme indépendant :
« I think that the theory of resonance is independent of the valence-bond method of approximate solution of the Schrödinger wave equation for molecules. I think that it was an accident in the development of the sciences of physics and chemistry that resonance theory was not completely formulated before quantum mechanics was discovered; and the aspects of resonance theory that were introduced after quantum mechanics, and as a result if quantum mechanical argument, might well have been induced from chemical facts a number of years earlier. » [158]
De 1931 à 1933, Pauling publiera
une série d’articles[159] sur la nature de la liaison chimique basée sur le
concept de résonance.
En 1931, il publie
« Quantum Mechanics and the Chemical Bond »[160] qui parait en même temps que l’article de Slater « Directed Valence in polyatomic molecules »[161].
En 1935, il écrit un
ouvrage d’importance avec Wilson, Introduction to Quantum Mechanics with application
to Chemistry[162] puis en 1939, c’est la parution du fameux livre The
nature of the Chemical
Bond.
Avant de développer la
méthode de Pauling nous
allons préciser la position de Slater.
· John Clark Slater (1900-1976) obtient son doctorat en 1923 à Harvard sous la
direction de Percy William Bridgman (1882 – 1961). En 1923 et 1924, il est en Europe. Fin 1923, il
est au laboratoire Cavendish de Cambridge avec Fowler, un spectroscopiste, puis en décembre à Copenhague avec Bohr et Kramers. En juin 1924, il retourne à Harvard chez le
Professeur Saunders et
travaille alors sur la théorie des spectres des complexes.
De 1924 à 1926,
Mulliken et Slater logeaient
dans des chambres voisines près
d’Harvard Square, c’est dans cette période que Mulliken attira l’attention de
Slater sur les problèmes posés par l’étude des spectres moléculaires et en
particulier sur le phénomène encore non expliqué de l’alternance d’intensité
des bandes observées dans les spectres de rotation des molécules homonucléaires[163]. Slater est très impressionné par l’article de
Schrödinger :
« After 1926, we were convinced we knew the fundamental laws, and the
problem was to work out ways of applying them to physics, chemistry,
electronics, metallurgy, and related fields » [164]
En 1929, il retourne en
Europe et travaille avec Heisenberg et Hund à Leipzig.
A l'aide de la nouvelle théorie quantique, il développe la méthode du
déterminant applicable aussi bien aux atomes, qu’aux molécules et aux solides.
De 1931 à 1966, Slater sera
professeur de physique au MIT où il travaillera sur les molécules et le solide.
C’est donc lors d’un séjour
en Europe, en 1929, que Slater[165] montre que l’on peut exprimer la fonction d’onde
électronique complète d’une molécule
sous la forme d’un déterminant :
« Nous pouvons noter la fonction pour le énième
électron par , où ni représente les quatre nombres ni li mli msi,
et où xi symbolise les quatre coordonnées (trois de position, une de
spin) du énième électron. Il est bien connu que le produit de ces fonctions,
pour tous les électrons (1…N) de l’atome, donne une fonction qui satisfait
approximativement l’équation de Schrödinger. C’est à dire que
,
,…,
, est une solution approchée. Mais elle n’est pas
antisymétrique en ce qui concerne les électrons, de sorte qu’elle ne satisfait
pas le principe d’exclusion. Pour former une solution antisymétrique, nous
notons que nous avons encore une solution approchée, associée à la même valeur
de l’énergie, si nous échangeons n’importe lequel des deux x, obtenant par
exemple
,
…
. Nous avons encore une approximation avec la même
énergie si nous faisons une combinaison linéaire de chacune de telles
solutions. Nous pouvons alors faire la seule combinaison antisymétrique
possible, qui satisfera le principe d’exclusion, et qui sera une solution
approchée de l’équation de Schrödinger. Cette combinaison s’écrit de façon
pratique sous la forme d’un déterminant :
» [166]
Dans le cas général, y est donc une combinaison linéaire antisymétrique
de produits de fonctions d’onde monoélectroniques atomiques ou moléculaires.
Chaque produit étant composé d’un facteur orbital j et d’un facteur de spin s.
En guise de fonction
d’espace, Slater n’utilisait que des fonctions d’ondes atomiques, Mulliken appellera
cette méthode « la méthode des orbitales atomiques ».
Pour Pauling, tous les traitements théoriques de la liaison
chimique entre 1931 et 1935 sont basés sur les travaux de Slater et en
particulier sur l’article « Molecular energy levels and valence
bond. »[167] Et Il va
simplifier le traitement de Slater et généraliser la méthode aux grandes
molécules, sous le nom de théorie de la liaison de valence. Pauling reprend
tout d’abord le concept de résonance utilisé par Heitler et London :
« L'énergie de la liaison par paires
d'électrons est essentiellement l'énergie de résonance correspondant à
l'échange de deux électrons entre les deux orbites électroniques. » [168]
Il applique
la méthode de la résonance à l'ion H2. Il pose
l'existence de deux structures contribuant à la molécule :
Structure I : HA HB
Structure II : HA HB
Ces deux structures
parfaitement équivalentes ont la même énergie et contribuent donc dans une
proportion égale à l'état fondamental de l'ion. Ainsi en prenant comme fonction
d'onde la somme des fonctions d'onde correspondant aux structures I et II, on
montre que la courbe représentant les variations de l'énergie avec la distance
entre les deux noyaux d'hydrogène passe par un minimum pour rAB =
1,06 A. D’après Pauling,
« cela montre que la résonance de l'électron entre
les deux noyaux a pour conséquence la formation d'une liaison stable à un
électron… La manière dont cette stabilité supplémentaire ait comme conséquence
la formation d'une liaison résulte de la combinaison des deux structures I et
II, ne peut s'expliquer simplement : c'est un résultat dû au phénomène de
résonance dans la mécanique quantique. » [169]
Puis Pauling généralise
ce phénomène à toute molécule [voir Annexe A.1.2]. Ainsi, pour déterminer la fonction d’onde
correspondant à l’état normal d’une molécule, c’est à dire l’état de plus base
énergie il considère au moins deux structures I et II « qui
puisse vraisemblablement ou virtuellement représenter l’état normal du système
considéré ». La théorie[170]
indique alors que la fonction d’onde la plus générale est solution de l’équation de Schrödinger. Comme
dans le cas de la molécule de dihydrogène, on dira qu’un tel système est
en résonance entre la structure I et la structure II. Pauling précise :
« La structure d'un tel système n'a pas cependant
le caractère d'une structure intermédiaire entre la structure I et la structure
II. Par suite de la résonance, il se trouve, en effet, stabilisé par une
certaine quantité d'énergie : énergie de résonance. » [171]
Un problème se posait
quant aux choix quelque peu arbitraires des structures initiales, mais comme le dit Pauling :
« Les avantages et l'efficacité de la notion
de résonance pour étudier les problèmes de la chimie sont si grands qu'ils
rendent peu important le désavantage d'y laisser un petit élément
d'arbitraire. »
[172]
En effet, pour décrire
les molécules on procède en deux étapes : la première consiste à relier la
structure de la molécule aux particules la constituant, la deuxième à étudier
comment ces particules interagissent au sein de la molécule. L'usage du concept
de la résonance permet d'effectuer une recherche des différents constituants de
la molécule ainsi que leurs interactions.
Que peut-on dire de
l’existence des structures représentant la constitution d’un système en résonance ?
Examinons le cas du benzène [figure 15].
Figure 15 – Formes résonnantes du benzène.
« On demande souvent si oui ou non les
structures figurant la constitution d'un système en résonance, par exemple les
structures de Kekulé pour la
molécule de benzène, doivent être considérées comme une réalité. Dans un
certain sens, la réponse à cette question doit être affirmative. Mais la
réponse serait formellement négative si l'on attribuait à ces structures le sens
ordinaire qu'on leur attribue en chimie. Une substance présentant de la
résonance entre deux ou plusieurs structures des liaisons de valence ne peuvent
contenir des molécules avec les configurations et les propriétés généralement
attribuées à ces structures. Les formules de constitution de la résonance
hybride n'ont pas de réalité dans ce sens.
On peut prendre la
question sous un autre biais. La figure stable d'équilibre du noyau d'une
molécule de benzène n'est pas celle qui correspond à l'une au l'autre des deux
structures de Kekulé, c'est une figure hexagonale intermédiaire. Les
structures des liaisons dans les formules I et II doivent donc, dans cette
manière de voir, être regardées comme différant jusqu'à un certain point de
celles de molécules sans résonance. Elles indiquent que le mouvement
électronique correspond à des liaisons alternativement simples et doubles, mais
à des distances d'équilibres internucléaires constantes (1,39 A) et non à des
distances alternant de 1,54 A à 1,34 A. La fonction d'onde électronique pour la
molécule normale de benzène peut se composer de termes qui correspondent aux
structures de Kékulé I et II, avec en plus quelques termes additionnels ; et
par conséquent, suivant les principes fondamentaux de la mécanique quantique,
s'il était possible de faire une expérience qui permettrait d'identifier la
structure électronique soit à la
structure I, soit à la structure II, on trouverait chacune de ces structures
dans une proportion qui serait déterminée par la fonction d'onde.. La
difficulté, pour le benzène et pour les autres molécules présentant une
certaine résonance électronique, est d'imaginer une expérience qui puisse être
faite dans un temps assez court et qui permette de choisir entre les structures
en discussion. » [173]
Que dit Pauling à propos
de la réalité des structures ? D'une part, il nous dit que les formes n'ont pas
d'existence propre, puisque le benzène est un hexagone régulier. D'autre part,
il imagine une expérience de pensée qui permettrait, à condition d'être
suffisamment rapide, d'identifier les structures I et II. Ceci laisse supposer
que Pauling donne à ces structures une existence propre de durée de vie très
faible. Le benzène est-il I et II ou, ni I, ni II ? Ces structures, que l’on
qualifie de mésomères, ne sont pas issues d'une quelconque expérience, elles
sont posées, dès que le type de liaison est connu et constituent une
approximation permettant de résoudre l'équation de Schrödinger. Dans le formalisme quantique, la représentation
n’est pas nécessaire. Poser la question de l’existence des formes mésomères ne
présente pas d’intérêt du point de vue quantique puisque la représentation
n’est pas nécessaire, néanmoins, la représentation reste indispensable aux
chimistes.
Comment interpréter la
configuration tétraédrique du carbone ?
Déjà en 1928, Pauling disait :
« Le phénomène de résonance en mécanique quantique
donnera une explication de l’arrangement tétragonal du carbone. » [174]
Comme nous l’avons déjà
dit, il lui faudra trois ans pour arriver à ses fins.
En 1931, Slater[175] et Pauling[176] introduisent, indépendamment, le concept de
valence dirigée.
Pour Pauling, l'énergie d'une liaison covalente est essentiellement
due à l'énergie de résonance des deux électrons communs aux deux atomes, mais
en plus,
« La forme de l'intégrale de résonance montre que
l'énergie de résonance augmente en même temps qu'augmente le
"recouvrement" (overlapping) des deux orbites atomiques intéressées à
la formation de la liaison : le terme de recouvrement signifie l'étendue des
régions de l'espace que les deux fonctions d'onde orbitaires couvrent l'une et
l'autre et où elles prennent encore de fortes valeurs.. (Comme le carré d'une
fonction d'onde orbitaire n'est autre que la probabilité de distribution de
l'électron, le "recouvrement" n'est au fond qu'une mesure du degré
d'interpénétration des distributions des électrons de liaison des deux
atomes.) » [177]
Chaque atome possède
des orbites atomiques stables qui vont servir à former des liaisons stables.
Ces orbites diffèrent davantage par leur partie angulaire que par leur partie
radiale. Pauling en donne
une représentation[178] très utilisée encore actuellement par les chimistes
[figure 16].
Figure 16 – Orbitale s et Orbitale p.
L’atome de carbone
possède différentes orbites atomiques 1s, 2s et trois 2p. Pauling en déduit
:
« que l'atome de carbone tétravalent devrait former
trois liaisons à angles droits et une quatrième liaison plus faible (en
utilisant l'orbite s) dans une direction arbitraire quelconque,…On n'a pas
encore pu établir par la mécanique quantique une théorie rigoureuse des
valences dirigées; la raison en est que l'équation d'onde de Schrödinger ne
peut-être résolue rigoureusement pour une molécule compliquée. Toutefois, on a
pu obtenir différentes solutions approchées, qui ont donné des raisons de poids
pour admettre les résultats donnés plus loin… D'une manière générale, une
fonction d'onde d'un système peut se construire en ajoutant ensemble plusieurs
fonctions d'ondes, la fonction d'onde correspondant à l'état normal étant celle
qui rend minimum l'énergie du système. L'énergie d'un système formé par un
atome de carbone et par quatre atomes liés à lui est rendue minimum en rendant
les énergies de liaison aussi fortes que possible. Or on trouve qu'une liaison
orbitaire formée par une combinaison linéaire des orbites s et p, prise avec un
rapport convenable des coefficients numériques correspond à une force de
liaison plus grande que celle des orbites s et p seules… » [179].
Ainsi, les quatre
combinaisons linéaires suivantes constituent quatre fonctions d’onde appelées
plus tard orbitales hybrides [voir figure17].
Ces quatre nouvelles
orbites atomiques du carbone sont orientées selon les axes d’un tétraèdre,
elles conviennent parfaitement à la description de la structure tétraédrique
des hydrocarbures saturés.
Et Pauling poursuit :
« il est évident que cette orbite peut recouvrir
largement l'orbite d'un autre atome et former une liaison très solide. On doit
s'attendre à ce que cette hybridation se produise, afin de rendre maximum
l'énergie la liaison. » [180]
Pour Pauling, ces orbites hybrides permettent une
représentation de différents types de liaisons dans les molécules organiques et
il précise que si la théorie quantique avait été proposée par des chimistes
plutôt que par des spectroscopistes, ce sont les orbitales tétraédriques qui
auraient été choisies. L'hybridation n'est pas un phénomène physique mais un modèle
mathématique tout à fait commode dans certains types de description.
La résonance est le
premier modèle répandu parmi les chimistes. Cette notion sera associée au
concept, toujours très utilisé par les chimistes qu'est la mésomérie, avec le
concept d'électronégativité, introduit indépendamment par Pauling et par
Mulliken, il permet d’intéressantes prévisions qualitatives concernant la
réactivité des molécules.
Chapitre 4
De la spectrocopie aux orbitales moléculaires.
« When thinking over how our present understanding of the structure of
atoms and molecules came about, I have become increasingly impressed by the
role of spectroscopy. » [181]
Nous avons vu comment
(Chapitre 2), par analogie avec les spectres atomiques, Mulliken et
d’autres chercheurs avaient classé les spectres moléculaires à l’aide de la
théorie des quanta entre 1923 et 1926. S’appuyant sur ces travaux et sur la
toute nouvelle théorie quantique, Hund va
élaborer une nouvelle approche des molécules.
Dans le Chapitre 4,
nous allons étudier la période qui s’étend de 1926 à 1930. Au cours de cette
période, les chercheurs vont s’appliquer à interpréter les spectres des
molécules diatomiques dans le cadre de la théorie quantique et en déduire leur
structure électronique. C’est Hund qui
appliquera, le premier, la théorie quantique à l’étude des spectres de bandes.
Mulliken, toujours au fait des nouvelles découvertes
susceptibles de faire avancer ses travaux, va reprendre les résultats
théoriques de Hund, les vérifier et les étendre à diverses molécules. C’est
ainsi qu’émergera, en 1928, le concept d’orbitale moléculaire qui prendra sa
forme achevée vers 1932 [figure 18].
Figure 18 – De la spectroscopie aux orbitales moléculaires.
Friedrich Hund est né le
4 février 1896 à Karlsruhe. Après avoir enseigné les mathématiques, la physique
et la géographie au lycée, il obtient un doctorat en 1922 à Göttingen, sous la
direction de Born. Il travaille ensuite à l’Institut de Max Born pour
compléter son habilitation. En 1927, il est nommé professeur associé à Rostock,
puis en 1929, professeur à Leipzig où il travaillera avec Heisenberg et Debye.
De 1925 à 1933, Hund publiera
un certain nombre d’articles importants pour la chimie[182]. Quelques notions essentielles émergent de ces
travaux, il s’agit : des règles, dites de Hund ; des différents types
de couplage ; de la détermination de la configuration électronique des
molécules ; d’une première approche du problème de la localisation.
Les outils utilisés par
Hund sont encore ceux de la théorie des
quanta. La théorie des quanta permettait de déterminer les termes d’une
configuration électronique atomique mais l’analyse empirique des spectres
restait nécessaire pour déterminer l’ordre des niveaux d’énergie. D’où les deux
règles de Hund :
® Etant donnée une configuration électronique, le terme de plus basse
énergie est celui qui possède la multiplicité de spin maximum (la plus grande
valeur de S) (voir Annexe 3].
® Parmi les termes possédant la même multiplicité de spin, le terme de plus
basse énergie est celui qui a le moment cinétique le plus grand (plus grand
nombre quantique azimutal L.)
(voir Annexe 3)
Mulliken est très intéressé :
« These two rules helped very much in the understanding of atomic spectra […] Naturally I was much interested since the same two rules must also apply to the electronic states of molecules. » [183]
Seule la première règle
est intéressante dans l’étude des molécules[184].
Notre étude a permis de
montrer qu’un certain nombre de travaux avait déjà été effectué dans le domaine
de la comparaison des spectres moléculaires et les spectres atomiques et
l’attribution de termes spectraux à quelques molécules[186].
En 1926, Hund[187] développe
un modèle qui s’appuie sur la nouvelle théorie quantique telle qu’élaborée par
Heisenberg, Born et Jordan[188] et sur le principe de correspondance. Il
travaillait alors à Göttingen et avait bien souvent connaissance des travaux de
Heisenberg avant leur publication :
« It was useful to me that I was acquainted with the work of Heisenberg before it appeared. » [189]
Hund regardait
toujours un problème dans le cadre de la physique classique, puis il appliquait
le principe de correspondance.
« In what follows we distinguish between a model and an atom or molecule. To the model we apply classical pictures and quantum conditions. The properties of a model and an atom or a molecule transform into each other for large values of quantum numbers. » [190]
Hund admet que
l’on sait interpréter les spectres de bandes tant qu’il s’agit de rotation et
de vibration.
« But as soon as the electronic motion comes into play we are far away from understanding. » [191]
Il va donc discuter,
d’un point de vue théorique, de la nature des états électroniques des molécules
en fonction de l’intensité des interactions électriques et magnétiques
présentes dans un système composé d’électrons et de deux noyaux.
Le moment cinétique
total d’une molécule est égal à la somme des moments cinétiques orbital, de
rotation et de spin. Hund est le
premier à étudier l’influence du couplage de ces moments sur les spectres des
molécules linéaires. Selon la nature du couplage, on peut déduire la levée de
dégénérescence des niveaux d’énergie de rotation et par conséquent la structure
fine des spectres ainsi que les règles de sélection qui régissent les
transitions.
Il distingue deux
principaux types de couplages nommés a et
b.
Dans le cas a, il y a couplage entre le moment cinétique
orbital et le moment cinétique de spin (le couplage du moment cinétique orbital
avec le moment cinétique de rotation est négligeable). Hund montre
qu’alors, le moment cinétique orbital effectue un mouvement de précession
autour de l’axe joignant les deux noyaux. Cette précession avait été mise en
évidence par Heisenberg[192] dans le cas du rotateur sphérique.
Dans le cas b, il y a couplage du moment cinétique orbital avec
le moment cinétique de rotation.
Les différents types de
couplages intéresseront davantage les spectroscopistes que les chimistes.
Herzberg les utilisera
pour classer les spectres des molécules diatomiques.
« My early papers on diatomic spectra led up to ideas on the
electronic states of molecules (an embryonic phase of molecular orbital theory)
and their relations to the structures of diatomic spectra. All this I presented
in terms of old quantum theory. Meantime Hund had used the then new
quantum mechanics to clarify our therefore semi-empirical understanding of
diatomic spectra an electronic structure. » [193]
Les travaux concernant
les spectres moléculaires permettaient d’appréhender les molécules comme les
atomes. On pouvait donc envisager la détermination de leur structure
électronique, c’est à dire, définir des niveaux d’énergie électronique dans la
molécule et attribuer des nombres quantiques caractéristiques d’une occupation
donnée des électrons. Dans un premier temps, seules les énergies étaient
connues, pour dépasser l’aspect qualitatif des études menées alors, il restait
à trouver des solutions approchées de l’équation de Schrödinger[194] et à
déterminer les nombres quantiques caractérisant les niveaux d’énergie de la
molécule. En 1927, Hund est
assistant de Born à
Göttingen. L’hiver 1926-1927, il est à Copenhague à l’Institut de Bohr. Il utilise alors la mécanique quantique à
l’étude des spectres moléculaires, voici le résumé de l’article :
« We investigate a system with one degree of freedom as an analogous for a molecule with several atoms, using quantum mechanics. Its potential energy has several minima. We can relate the stationary states of such a system to those of partial systems that result when the separation between the minima becomes infinite or when the potential energy separating them becomes infinite. In agreement with this (and in opposition to the classical theory) we obtain an adiabatic relation between the states of two separated atoms or ions, the states of a two-atomic molecule and the states of the atom that would result when the nuclei are united. This relation allows for a qualitatively valid term system of the molecule and for an explanation of the terms ‘polar molecule’ an ‘ion lattice’. » [195]
D’après Mulliken :
« He brought forward a quantum mechanical model for molecular electronic states, and what later were called molecular orbitals. » [196]
Ce modèle incorporait
les idées de Mecke, Birge, Sponer et
Mulliken[197] et permettait d’établir un lien entre la théorie
et l’expérience.
Hund décrit sa
méthode en prenant l’exemple de l’ion H2.
L’électron de l’ion H2 situé aux
distances r1 et r2 des noyaux, considérés comme fixes,
est soumis au potentiel :
U = U1(r1) + U2(r2).
U1(r1)
et U2(r2) sont des potentiels centraux comme dans
l’atome. Hund propose
d’étudier le mouvement de l’électron dans deux cas limites. Dans le premier
cas, les noyaux sont très éloignés l’un de l’autre, le mouvement de l’électron
est celui décrit par le modèle de l’atome soumis à un champ électrique externe
(l’autre noyau). L’autre cas est obtenu quand le noyau d’un des deux atomes est
remplacé par les deux noyaux contigus, le mouvement de l’électron est alors le
même que dans l’atome correspondant, l’atome unifié. Bien entendu, le cas
représentant le mieux la réalité est un cas intermédiaire. Il s’agit du
problème à deux centres dans lequel l’énergie potentielle est une fonction en
1/r. On obtient alors deux solutions I et II, respectivement symétrique et
antisymétrique par rapport au centre du segment joignant les deux noyaux.
Ce qui intéresse Hund, c’est la transformation adiabatique[198] des orbites du modèle aux noyaux joints en
orbites du modèle aux noyaux infiniment éloignés or :
« The complete transition from the case of nuclei separated by a large distance to the case of a small separation cannot be done adiabatically in the classical model. If we start in the case of nuclei separated by a large distance with some given quantum numbers, then we first arrive at orbit type II, but for a certain internuclear distance this type is no longer possible. The classical motion becomes a limiting motion. The same occurs when we approach from the other side, with nuclei placed close together; for a certain distance between the nuclei, orbit type I becomes impossible and the motion becomes a limit. An adiabatic transition going over the limiting case is not possible because of the vanishing frequency. » [199]
Cette difficulté
disparaît lorsque le problème est traité dans le cadre de la théorie quantique,
pour le montrer Hund utilise le
modèle simplifié de la particule dans un puits de potentiel unidimensionnel à
laquelle il applique l’équation de Schrödinger :
« We will use Schrödinger’s method of wave mechanics, since this allows a visual description of the stationary states through the eigenfunctions. » [200]
Une des différences
fondamentales entre la physique classique et la physique quantique est la façon
dont les fonctions propres s’étendent au-delà du puits de potentiel comme le
montre la figure 19. En physique classique, la barrière de potentiel est
impénétrable. Pour des particules soumises au potentiel V(x) et d’énergie
maximum E, il n’y a que deux
mouvements possibles, chacun dans un puits de potentiel. En théorie quantique,
la barrière de potentiel ne constitue plus un obstacle et une particule
peut passer d’un puits à l’autre par effet tunnel. Dans cet article, Hund ne fera
pas mention de l’effet tunnel, mais quelques années plus tard, dans son
ouvrage, The History of Quantum Theory[201], il
rappellera qu’il fut le premier à reconnaître « l’importante
de celui-ci dans la théorie des molécules » [202].
Figure 19 – Barrière de potentiel et fonction d’onde[203].
Voyons maintenant le
cas plus général proposé par Hund.
Lorsque la particule
est soumise à un potentiel V(x) son mouvement est régi par l’équation
différentielle [204].
Les fonctions propres,
solutions de cette équation, ont pour valeurs propres les valeurs des énergies
des états stationnaires W.
Les fonctions propres satisfont le théorème suivant :
« If the eigenfunctions are ordered according to their eigenvalue, the nth eigenfunctions divides the interval in exactly n parts through its zeros (nodes). » [205]
On peut alors attribuer
un nombre quantique (0 – 1 – 2) aux états stationnaires qui indique le nombre
de nœuds de la fonction propre correspondante.
La figure 20 représente
les valeurs propres W et
les fonctions propres Y décrivant une particule soumise à une fonction
potentielle . Dans une
description classique du mouvement, lorsqu’une particule possède l’énergie W0, nous pouvons dire qu’elle vibre autour d’une
position d’équilibre située à gauche. Pour une valeur W2, la particule vibre soit à gauche, soit à droite.
Pour une valeur W4, la particule peut aller d’un puits à l’autre. En théorie quantique, la
situation est différente, lorsque la particule possède l’énergie W0,
son mouvement ne se limite pas au puits de potentiel gauche, elle peut aussi
franchir la barrière de potentiel.
Dans le cas qui nous
intéresse, il est important d’étudier ce qui se passe lorsque la barrière de
potentiel tend vers l’infini. Ceci est représenté qualitativement [figure 21].
Le système initial est
alors séparé en deux sous-systèmes. Les états stationnaires du système initial
peuvent être transformés de manière adiabatique en états stationnaires des deux
sous-systèmes dans lesquels le système initial a été séparé. Quand la barrière
de potentiel augmente [figure 22], il en résulte une différentiation des
valeurs propres des deux sous-systèmes, dans le cas d’une séparation complète,
on obtient les valeurs propres de l’un ou l’autre des sous-systèmes.
Figure 20 – Puits de potentiel [1], valeurs propres et fonctions propres[206].
Figure 21 – Puits de potentiel [2], valeurs propres et fonctions propres[207].
Figure 22 – Puits de potentiel [3], valeurs propres et fonctions propres[208].
Ainsi, nous voyons
qu’en séparant un système en deux sous-systèmes, nous obtenons les valeurs
propres et les fonctions propres et par conséquent les états stationnaires
exacts, des deux sous-systèmes. D’où le diagramme de corrélation de la figure 23.
Figure 23 – Diagramme de corrélation simplifié[209].
« …we draw in the eigenvalues (energies) of the total system and the partial systems and connect the lowest value of the total system to the lowest value of the partial systems, the next lowest of the total system to the next lowest of the partial system, and so on. » [210]
Bien entendu, il s’agit
d’appliquer ceci aux molécules.
« The exact position of the terms can of course only be decided by a numerical or graphical solution of Schrödinger differential equation. A point of departure of the approximated position is given by the transition between two nuclei separated by a large distance to two nuclei lying close together. » [211]
Observons la figure 24
qui représente un cas général du problème à deux centres avec deux noyaux de
charges différentes ZA et ZB.
Quand la distance entre
les deux noyaux est très grande, les termes du système correspondent à ceux des
systèmes dans lesquels les électrons sont en mouvement autour de l’un ou
l’autre des noyaux (partie gauche du diagramme). Lorsque les noyaux
s’approchent, chacun est soumis au champ électrique de l’autre, on observe alors une levée de dégénérescence
des niveaux d’énergie de chaque atome et les termes se séparent.
Si maintenant, nous abordons
le problème du point de vue des deux noyaux joints, nous avons les termes d’un
atome de numéro atomique ZA + ZB (partie droite du diagramme). Si nous séparons ce noyau en deux, le
passage d’une symétrie sphérique à une symétrie axiale provoque une levée de
dégénérescence des niveaux d’énergie et les termes se séparent. Il suffit
ensuite de relier les niveaux d’énergie en respectant la règle de
non-croisement[212]. Au lieu d’obtenir des termes correspondant au
problème à deux centres, nous obtenons une fonction de la distance
internucléaire R.
Figure 24 – Diagramme de corrélation d’une molécule hétéroatomique[213].
Le travail de Hund a
largement contribué à clarifier les idées que Mulliken avait
développées dans la « phase embryonnaire de la théorie des orbitales
moléculaires »[214].
La molécule n’était plus considérée comme un ensemble d’atomes. Elle devenait
une sorte d’extrapolation de la structure atomique. Pour étudier la structure
électronique des molécules, c’est à
dire déterminer les nombres quantiques caractérisant les électrons dans des
orbites moléculaires, il suffisait de lui appliquer la démarche utilisée pour
l’atome.
En 1926, avec
l’équation de Schrödinger, il devenait :
« Trivial to interpolate the electronic quantum states of a diatomic
molecule between the limiting case of two separated atoms and the other
limiting case, where the positive electric charges of the two nuclei where
united to one. » [215]
« By accurate measurement and quantum[216] analysis of the spectrum of a particular kind of molecule, we can obtain knowledge of many important numerical properties of that molecule. By generalization of such results and with the help of the new quantum mechanics, rapid progress is now being made toward the solution of the problems of valence and molecular structure. » [217]
La structure des
spectres de bandes présentait certaines caractéristiques qui laissaient
entrevoir l’existence de différents types d’états électroniques, les
différences observées semblaient être en rapport avec les propriétés des
différents moments cinétiques.
« The major structure features of diatomic spectra are dominated by the existence of molecular vibration and rotation, but the detailed structures depend on the interaction of molecular rotation with electronic orbital and spin angular momenta, and the two latter with each other. » [218]
Mulliken remarquait
que, depuis 1925, on observait un renouveau et un développement rapide de la
spectroscopie, et ce, pour différentes raisons.
Tout d’abord, il y
avait l’application de la théorie quantique aux spectres moléculaires. La
détermination des états électroniques des molécules passait par le modèle de
l’atome unifié de Hund, il s’agissait d’établir des corrélations entre
atomes séparés et atome unifié, en interpolant les propriétés énergétiques de
l’atome unifié et des atomes séparés. On pouvait partir, soit de l’atome
unifié, soit des atomes séparés. Lorsqu’on partait de l’atome unifié, il
suffisait de déformer le noyau selon une symétrie axiale similaire à celle
d’une molécule diatomique. La corrélation intervenait entre les états de
l’atome avant et après l’introduction de la symétrie axiale. Ceci permettait de
déterminer les caractéristiques des états moléculaires correspondant alors aux
états atomiques perturbés.
Par ailleurs, à Berlin,
Wigner et Witmer[219] publiaient un article dans lequel ils proposaient
des règles issues de la théorie des groupes qui permettaient de préciser quels
types d’états des molécules diatomiques on pouvait déduire à partir des états
atomiques de types donnés. Cette approche était l’inverse de celle de Hund ; en
effet, dans ce cas, on partait des atomes isolés et, se fondant sur la
mécanique quantique et sur les propriétés de symétrie des fonctions d’onde, on
observait les conséquences du mélange des états de deux atomes séparés sur la
symétrie de ces états. Cette façon de procéder permettait de faire un
inventaire des états moléculaires possibles sans toutefois préciser lesquels
étaient les plus stables.
Le modèle moléculaire
qui, d’après Mulliken, manquait aux spectroscopistes et aux chimistes
pour comprendre la liaison chimique, ne pouvait vraiment s’épanouir qu’en
ordonnant toutes les connaissances expérimentales acquises en spectroscopie et
en chimie, à l’aide de la théorie quantique.
Comment Mulliken aborde-t-il
les nouvelles idées ?
« Probably I ought to have devoted more attention to an intensive study of quantum mechanics, but I was satisfied with a general knowledge of its method and principles sufficient to help me understand particular molecules or types of molecules and their properties; especially their spectra. In short, I was more interested in getting better acquainted with molecules than with abstract theory about them. » [220]
Mulliken avait eu
connaissance des travaux d’Heisenberg en 1926
lors d’une conférence de Born au MIT
(fin 1925, printemps 1926),
« I got a very strong impression that certainly ‘here is the thing’. » [221]
mais il n’était pas
très à l’aise car moins bien préparé que les Européens à la physique et aux
mathématiques. Quant à l’équation de Schrödinger :
« I guess the Schrödinger equation was somewhat of a relief that it wasn’t quite so bad » [222]
Mulliken est tout
de suite intéressé par les travaux de Hund. Il va continuer de traiter la molécule comme une
sorte de « super atome » et dira d’ailleurs à propos de leur
méthode :
« I regard each molecules as a self-sufficient unit and not as a mere composite of atoms. » [223]
Hund et
Mulliken vont se
rencontrer à plusieurs reprises en 1925, 1927 et 1930, puis en 1932-33 et en
1953. Leur coopération fut essentielle dans l’émergence de la théorie des
orbitales moléculaires. Malgré une étroite collaboration, ils ne publieront
rien ensemble, leur approche des problèmes était complémentaire. Hund partait
des concepts fondamentaux de la physique. Mulliken s’intéressait aux
applications des concepts aux problèmes des spectres moléculaires et à la
théorie de la liaison chimique. Il envisageait les choses d’un point de vue
empirique tandis que Hund les traduisait et les interprétait de façon plus
théorique.
Voyons comment il va
reprendre à son compte les travaux de Hund tout en
s’inscrivant dans la continuation des travaux de Lewis et
Langmuir.
Quand Mulliken arrive à
Chicago en 1928, il aurait souhaité avoir un bon spectrographe[224], mais il ne l’obtint qu’en 1937. L’absence d’un
spectrographe haute résolution entama son enthousiasme à travailler à l’analyse
des spectres et il se tourna vers des développements théoriques. Mulliken est
d’abord très intéressé par l’article de Hund[225] qui traitait des différents types de couplages (a, b)
permettant de classer les niveaux d’énergie de rotation des molécules
diatomiques :
« …and thereby brought clarity to the problems of band spectrum with which I had been struggling using the old quantum theory. » [226]
C’est dans l’article
[30][227] que Mulliken reprend le
travail de Hund. Il commence par expliquer en quoi consiste la
théorie de Hund et montre qu’elle est en accord avec toutes les données
expérimentales qu’il avait lui-même ordonnées dans les articles de la série
« Electronic state and band-spectra structure un diatomic molecules »
[228]. Dans son article, Hund avait déjà donné quelques
preuves expérimentales de sa théorie, l’article de Mulliken permettait de
compléter ces données.
Mulliken passe
l’été 1927 à Göttingen où il discute beaucoup avec Hund à propos
des spectres des molécules diatomiques. En visite à Zürich, Mulliken rencontre
Schrödinger qui lui
présente Heitler et London dont
l’article, concernant la liaison chimique[229], venait de paraître. Mulliken n’était pas très
enthousiaste à l’idée qu’une autre théorie pouvait, elle aussi, décrire les
molécules. La concurrence entre deux théories laissait entrevoir un débat qui
semblait nécessaire à la validation de l’un ou l’autre des modèles. Il est
certain que ces deux approches, très différentes, ne manqueront pas de
provoquer de nombreuses discussions dont nous reparlerons ultérieurement.
A l’issue de son voyage
et des ses conversations avec Hund, Mulliken fera la
synthèse de ces échanges dans deux articles[230] particulièrement importants traitant des états
électroniques des molécules. Il enverra le premier à Hund qui s’apprêtait à
publier un papier similaire mais, l’article de Mulliken étant déjà sous presse,
Hund modifiera le sien.
Pour bien suivre et
comprendre la démarche de Mulliken nous
l’avons présentée dans le tableau synoptique de la figure 25.
Figure 25 – Traitement des molécules diatomiques.
Dans un grand nombre
d’articles, Mulliken fait
référence à Lewis et à
Langmuir. Nous verrons la corrélation qu’il établit entre
son modèle et le modèle de Lewis-Langmuir allant même jusqu’à expliquer en quoi
le modèle de Lewis est plus proche des orbitales moléculaires que de la liaison
de valence. Mulliken imagine la molécule comme l’atome de Bohr avec des
électrons sur des orbites autour des noyaux et souhaite mettre en place un
principe de construction. Cette idée soulève deux questions-problèmes :
· 1 · Comment déterminer les nombres quantiques moléculaires ?
· 2 · Comment déterminer l’énergie des orbites électroniques ?
Ces deux questions en
posent une autre :
® La
corrélation de la molécule « réelle » est-elle meilleure avec les
atomes séparés ou avec l’atome unifié ?
Ces travaux aboutiront
au diagramme de corrélation.
« By 1928 attention turned to the ‘aufbau’ or ‘building-up principle’
for the allocation of electrons in the structures of diatomic molecules. » [231]
Comment attribuer des
nombres quantiques individuels aux électrons de la molécule à la manière
de ce qui se faisait pour les atomes ?
L’analogie des spectres
atomiques et moléculaires avait suggéré à Mulliken la
possibilité de définir « une orbite » pour chaque électron dans la
molécule. Nous avons déjà vu, par exemple, que CN et BO devaient avoir les
mêmes nombres quantiques que Na.
Comme l’avait montré
Bohr en 1922, l’explication de la classification périodique des éléments passait
par l’existence de couches saturées au sein des atomes. Pour prévoir la
configuration électronique d’un atome dans son état fondamental, il utilisait
le principe de construction (Aufbauprinzip). Chaque atome est ainsi construit
de couches électroniques saturées, excepté la couche la plus externe sur
laquelle on trouve les électrons qui permettent de définir le terme spectral de
l’atome en question[232].
Mulliken va montrer
que les molécules contiennent aussi des couches saturées et que par conséquent,
on peut imaginer l’utilisation d’un principe de construction adaptée à la
détermination des états moléculaires fondamentaux.
« The fact that the normal state of NO is obtained from that of NOmerely by adding one more electron in a higher orbit, without
disturbing those already present, is a further example of the applicability of
the structure principle in molecules. » [233]
La mise en œuvre du
principe de construction va permettre à Mulliken de classer
les spectres moléculaires. Bien sûr, c’était beaucoup plus compliqué que dans
le cas des atomes, en effet, rappelons que dans les molécules :
· les types d’orbites sont beaucoup plus nombreux que dans le cas des
atomes. Lors de la formation d’une molécule les couches saturées des atomes se
subdivisent pour former celles des molécules, le nombre de couches saturées est
donc beaucoup plus important que dans le cas des atomes.
· différents facteurs font varier l’ordre des orbites. En effet, l’énergie
des couches saturées varie avec :
® le numéro atomique des atomes constituant la molécule.
® la distance entre les noyaux.
® la répartition de la charge entre les deux noyaux.
Pour déterminer les
configurations électroniques des molécules, nous devons d’abord considérer,
quelles possibilités sont théoriquement attendues. Comme nous l’avons déjà dit,
la discussion se porte naturellement sur deux thèmes suivants :
· 1 · Comment déterminer les nombres quantiques des électrons dans la molécule,
la nature des couches saturées et les états moléculaires ? Pour répondre à
ces questions, il faut s’intéresser à la corrélation entre l’atome unifié et la
molécule. La corrélation avec l’atome unifié est importante pour appliquer le
principe de Pauli[234] et
déterminer ainsi le nombre maximum possible d’électrons pour un ensemble donné
de nombres quantiques. Nous allons étudier cet aspect au paragraphe [4.3.3.3.1].
· 2 · Comment déterminer l’énergie des électrons sur une orbite donnée ?
Dans ce cas, il faut s’intéresser à la corrélation entre les atomes séparés et
la molécule. Quels états électroniques particuliers d’une molécule peuvent être
attendus de l’union de deux atomes chacun dans un état
déterminé ? Nous allons aborder ce point au paragraphe [4.3.3.3.2].
La détermination de la
structure électronique des molécules passait non pas par l’attribution
préalable de nombres quantiques à des orbites mais par la compréhension des
états spectroscopiques. A partir de ces états, il fallait redescendre aux
ingrédients orbitaux qui les composaient. Il était donc nécessaire de connaître
les règles de sélection c’est à dire la dynamique des changements puisqu’on
avait accès aux différents états que par le passage de l’un à l’autre.
Le point d’importance
est le lien que l’on peut établir entre atomes et molécules, nombres quantiques
atomiques et nombres quantiques
moléculaires, configuration électronique atomique et moléculaire.
« The various electron states of a molecule, like those of an atom can
be classified by giving quantum numbers for individual electrons and, in
addition, certain electron quantum numbers for the molecule as a whole. » [235]
Hund avait mis
l’accent sur l’atome unifié, Mulliken insiste
sur le fait que la molécule est une interpolation entre les atomes séparés et
l’atome unifié ce qui impliquait la nécessité des deux approches.
C’est, entre autres,
l’objet des articles [41] et [44]. Dans l’article [41], Mulliken souligne
que l’essentiel des idées qu’il développe a son origine dans les articles de
Hund avec une distinction :
« …the chief difference being in the attempt to assign individual quantum numbers to the electrons. » [236]
« The methods used involve the application and extension of Hund’s theoretical work on the electronic states of molecules, as
contrasted with an atom, cannot ordinarily be expected to be described
accurately by quantum numbers corresponding to simple mechanical quantities,
such quantum numbers can nevertheless be assigned formally, with the
understanding that their mechanical interpretation in the real molecule
(obtained by an adiabatic correlation) may differ markedly from that
corresponding to a literal interpretation. With this understanding, a suitable choice of quantum numbers for a diatomic molecule appears to be one corresponding to an atom
in a strong electric field, namely, quantum numbers nt, lt, slt and st for the t’th
electron, and quantum numbers s, sl and ss for the molecule as a whole (slt and ss represent quantized components of lt, and s, respectively, with reference to the line joining the nuclei). The
quantum numbers may be thought of as those associated with the imagined
“united-atom” formed by bringing the nuclei of the molecule together. » [237]
Mulliken choisit
d’expliquer la procédure de Hund en
déterminant les nombres quantiques caractéristiques de la molécule BO.
Les états possibles
d’une molécule peuvent être obtenus à partir des états de l’atome unifié. En
séparant en deux le noyau de l’atome unifié, on obtient les deux noyaux de la
molécule étudiée. On considère chaque atome comme étant placé dans un champ
électrique fort de symétrie axiale de telle façon que leur nombres quantiques[238] ML et MS (ML = L, L - 1, 0, - (L - 1), - L)
et MS (MS = S, S – 1,…, - S) soient bien définis. Tous les états possibles de la molécule sont donnés
par les MS et ML résultant de la somme algébrique des MS et ML atomiques.
Les structures
électroniques du bore et de l’oxygène sont respectivement :
B : (1s)2(2s)2(2p)1 soit
un état 2P
O : (1s)2(2s)2(2p)4 soit un état 3P
L’état 2P du bore donne
L = 1 et S = ½,
soit, ML = 1, 0, - 1
et MS = ± ½.
Lorsque l’atome de bore
est placé dans un champ électrique, on obtient six composantes.
L’état 3P de l’oxygène O donne L =
1 et S = 1,
Soit, ML = 1, 0, - 1 et MS = 1, 0, - 1.
Lorsque l’atome
d’oxygène est placé dans un champ électrique, on obtient neuf composantes.
La combinaison des
différentes composantes donne 6 ´ 9 = 54 états possibles pour BO.
Comme Hund[239] le
précise, au cours de la formation d’une molécule, aucun état n’est perdu. Ces
54 états se regroupent en un certain nombre d’états fonction des valeurs des L et S de
la molécule BO :
2S ; 4S ; 2P ; 4P ; 2D ; 4D
Figure 26 – Valeurs des ML et MS de la molécule BO.
Les symboles utilisés
pour représenter les états des molécules diatomiques avaient été introduit par
Hund[240] en remplacement des symboles atomiques préconisés
par Birge. Dans le même article il introduisait aussi les symboles s ; p ; d permettant de classer les orbitales moléculaires d’après la valeur de la
projection du moment cinétique orbital sur l’axe de la molécule. En effet, lors
de la formation d’une molécule, il apparaît un nouveau nombre quantique propre
à la molécule, l dont nous allons préciser la signification.
« …when an atomic electron orbit with azimuthal quantum number l is placed in an
electric field of suitable strength, or when the atom is replaced by a diatomic
molecule, a new quantum number l comes into existence; this corresponds to the projection of l on the electric axis (in the molecule, this
axis is the line joining the nuclei); l is capable of taking on the integral values from l to 0, e.g. any p electron orbit (l = 1) gives the
two cases l = 0 (ps orbit) and l = 1 (pp orbit), while an s electron (l = 0) gives only the one case l = 0 (ss orbit). » [241]
Nous venons de voir
comment Hund déterminait les états d’une molécule diatomique. Mulliken souhaitait
aller plus loin et déterminer la configuration électronique de la molécule en
précisant les valeurs des l = êml ê de chaque électron des atomes constituant la
molécule, pour ce faire, il suppose que les ml se conservent lors de la formation de la
molécule.
Afin d’appliquer son
hypothèse, Mulliken note les
états de chaque atome soumis à un champ électrique en notation
moléculaire :
® Ainsi les 6 composantes du bore, dans l’état 2P
peuvent être regroupées sous les deux configurations suivantes :
· (1ss)2(2ss)2(2ps)1 soit
un état 2PS avec 2 composantes
correspondant à ML = 0 ; MS = ± ½.
· (1ss)2(2ss)2(2pp)1 soit
un état 2PP avec 4 composantes correspondant à ML = ± 1 ; MS = ± ½.
® Les 9 composantes de l’oxygène dans l’état 3P se
regroupent sous les deux configurations :
· (1ss)2(2ss)2(2ps)2(2pp)2 soit un état 3PS avec 3 composantes
correspondant à ML = 0 ; MS = 0, ±1.
· (1ss)2(2ss)2(2ps)1(2pp)4 soit un état 3PP avec 6 composantes correspondant à ML
= ± 1 ; MS = 0, ±1.
Les nombres et lettres
ont le même sens que dans le cas des atomes tandis que la lettre grecque correspond
à la valeur du nombre quantique l. [s, p, d… signifie l = 0, 1, 2 …]
Lorsqu’on applique la
règle de conservation de l, il est inutile de préciser les valeurs de n et l puisqu’elles ne se conservent pas lors de la
formation de la molécule. Pour définir la configuration électronique des
molécules, il suffit d’indiquer le nombre total d’électrons s, p, d… .
Ainsi, la configuration
(1ss)2(2ss)2(2ps)1 du B (2PS) est considérée
comme une configuration s5 et la configuration (1ss)2(2ss)2(2ps)2(2pp)2 de O (3PS
) comme étant une
configuration s6p2. D’où la configuration
électronique de la molécule BO : s11p2
correspondant à un état 2S
ou 4S
.
Si les atomes de bore
et d’oxygène sont pris dans des états différents, on obtient d’autres
configurations de la molécule BO. L’état (2PS) du B associé à
l’état (3PP) de l’O et (2PP) du B associé à (3PS
) de l’O, donne les
états moléculaires 2P
et 4P correspondant à la configuration s10p3 ; B (2PP) et O (3PS
) donne les états
moléculaires suivants : deux 2S , deux 4S, un 2D et un 4D correspondant à la configuration s9p4
de BO.
Quelle est la relation
entre les électrons des atomes séparés et les électrons correspondant de la
molécule ?
Mulliken va montrer
que la prise en compte de la relation entre les états électroniques des
molécules et ceux des atomes séparés, produits lors de leur dissociation, est
importante pour comprendre la formation des molécules.
Prenons pour exemple le
diazote. On peut écrire de façon symbolique :
N + N ® N2
[1s22s22p3 ; 4S] +
[1s22s22p3 ;
4S] ® [1ss22ps23ps2 2pp4 3ss2 ; 1S].
1s2 + 1s2 (deux couches saturées) de N + N ® 1ss22ps2
de N2 (deux couches saturées et on peut dire que les électrons 2ps sont des électrons promus[242] puisque leur nombre quantique principal n a augmenté, il est passé de 1 à 2)
2s2
+ 2s2 (deux couches saturées) de N + N ® 1ss23ss2
de N2 (deux couches saturées ; les électrons 3ss sont des électrons promus.)
2p2
+ 2p2 (électrons de valence) de N + N ® 3ps22pp4
de N2 (deux couches saturées ; les électrons 3ps sont des électrons promus.)
Lors de la formation de
la molécule N2 à partir des atomes N, nous voyons immédiatement que
les nombres quantiques des électrons de l’atome changent.
« Thus some of the atomic electrons are promoted in the formation of the molecule, i.e. their principal quantum number n is increased, while l is often also changed. If it were not for this promotion, their would be in the molecule too many 1s and 2s electrons, namely four of each, whereas only two of each are permitted according to the Pauli principle. The way in which promotion is possible is made clear only by the new quantum mechanics. » [243]
Birge et Sponer[244] avaient montré que CO et N2 pouvaient
se dissocier facilement avec un faible apport d’énergie de vibration, mais ceci
allait à l’encontre des changements de nombre quantique car, comme le
soulignait Mulliken :
«… in the old quantum theory, there seemed to be no way in which quantum numbers would be changed except by violent agencies such as collision or light absorption. » [245]
Hund[246] avait montré qu’avec la nouvelle théorie
quantique cette contradiction disparaissait :
« Briefly, the molecule may be said to be latent in the separated atoms; in a certain sense, the molecular quantum numbers already exist before the atoms come together, but take one practical importance, at the expense of the atomic quantum numbers, only on the approach of the atoms to molecular distance. » [247]
Hund avait
discuté de la corrélation entre états atomiques et états moléculaires en
utilisant la règle qui stipule que les nombres quantiques sl et s
d’une molécule peuvent être obtenus par addition algébrique ou vectorielle des sl et s
des atomes. En plus de ces règles, Mulliken avait mis
en évidence le fait que chaque ml reste inchangé lors de la formation de la molécule[248].
Dans l’article [44],
Mulliken poursuit
ses recherches dans le même sens et il détermine les états électroniques des
atomes résultant de la dissociation de chaque état moléculaire. Le problème est
le suivant, étant donné une configuration et des états moléculaires connus,
quels sont les états des atomes ou ions obtenus lors de la dissociation de la
molécule par augmentation du nombre quantique de vibration.
Cette discussion sur la
relation entre molécule et atomes séparés va permettre à Mulliken d’introduire l’énergie de formation d’une molécule.
Rappelons que lorsque
deux noyaux se rapprochent pour former une molécule, le nombre quantique
principal de certains électrons augmente pour satisfaire le principe de Pauli[249] et la
transition vers l’atome unifié.
Quelles sont les
conséquences de l’existence d’électrons promus sur l’énergie de la
molécule ?
Mulliken partage
l’énergie en énergie potentielle de répulsion entre les noyaux des atomes (N.E
> 0, nuclear energy) et en énergie potentielle d’interaction de chaque
électron placé dans le champ des noyaux plus celui des autres électrons (B.E.
< 0, binding energies).
Quand la distance
internucléaire r
est grande et diminue, B.E. doit augmenter plus vite que N.E..
Pour r = re, l’énergie totale est minimum.
Pour r < re, la répulsion nucléaire N.E. augmente plus vite que B.E..
L’énergie de
dissociation de la molécule est donnée par :
De cette étude émergent
un nouveau concept : le pouvoir liant (Bonding Power).
Jusqu’alors, les
chimistses connaissaient les électrons liants et les électrons non liants.
Maintenant, nous allons attribuer un pouvoir liant aux électrons, Mulliken en donne
deux définitions :
1 –
energy-bonding-power qui joue sur D.
2 –
distance-bonding-power qui joue sur re.
Compte tenu du fait que
les énergies de liaison ne sont pas connues avec précision, Mulliken préférera
la deuxième définition. Ainsi, les électrons dont la présence dans la molécule
tend à augmenter son énergie de dissociation D ou à diminuer la distance internucléaire se voient attribuer un pouvoir
liant positif.
Les électrons non
promus (dont l’orbite est en général de la taille de re) ont un fort pouvoir liant tandis que les
électrons promus ont un pouvoir liant nul, voire négatif.
Herzberg[251],
qui travaillait sur les
spectres des molécules diatomiques, travaux pour lesquels il recevra le prix
Nobel de Chimie[252] en 1971, introduit les concepts d’électrons
liants et antiliants, les électrons antiliants étant justement ceux dont le
pouvoir liant est négatif. Dans N2
les électrons 3ps et 2pp sont les électrons liants car ils s’apparient lors de l’union des deux
atomes d’azote. Herzberg était
convaincu de la valeur de l’approximation monoélectronique, cette approche
permettait de distinguer les états liants ou antiliants des molécules
diatomiques selon que l’approche de deux atomes conduisait ou non à une
nouvelle surface nodale de la fonction d’onde. Les effets liants et antiliants
étaient alors difficiles à comprendre mais ces concepts seront mieux appréhendés
par le biais du travail de Lennard-Jones que nous étudierons au chapitre
suivant. Par ailleurs, il proposait aussi une règle permettant de déterminer
le nombre de liaison d’une molécule diatomique homonucléaire[253]. Il s’agit d’effectuer la demi-différence entre
le nombre d’électrons favorisant la liaison et ceux la défavorisant. Dans le
cas de molécules C2, N2, N2,
O2
, O2,
et F2 le nombre de liaison est respectivement 2 ; 2,5 ;
3 ; 2,5 ; 2 et 1. Cette règle peut aussi être appliquée dans le cas
des molécules diatomiques hétéronucléaires faiblement polaires comme NO et CO
dont la configuration est la suivante :
Pour CO, p = 2 et q =
0 ; pour NO, p =
2 et q = 1 ce qui donne 3 liaisons
dans le cas de CO et 2,5 dans le cas de NO.
A l’origine, l’article
[41] avait pour objectif d’expliquer un défaut important dans les analogies
observées entre les trois états de BO, CO et CN et ceux Na.
Si l’on considère que dans l’atome de Na, l’état
est
‘normal’, les états
sont inversés [figure 27].
Figure 27 – Inversion des niveaux d’énergie.
L’explication de
l’inversion des niveaux dans les molécules avait des implications quant à l’attribution
des configurations électroniques.
Cette inversion avait
été mise en évidence par F. A. Jenkins[254] qui travaillait alors à Harvard avec Mulliken, dans une étude du spectre de BO. Il manquait un
certain nombre de raies dans les transitions
et
. La même chose avait été mise en évidence dans le
spectre de CO
.
Comment expliquer cette
inversion ?
Examinons tout d’abord
la configuration la plus probable de l’état fondamental de N2 et CO.
N2, CO, NO :
Comme nous l’avons déjà
dit, les électrons de 2ps, 3ps et 3ss sont appelés électrons promus parce qu’ils correspondent aux électrons 1s, 2s et
2ps des atomes séparés. Les configurations de BO, CN
et CO peuvent être
déduites de celle de N2, il suffit d’ôter un électron sur 3ss pour l’état fondamental, un électron sur 2pp pour le premier état excité et un électron sur 3ps pour le second état excité. L’ensemble (2pp)3 du second état excité
est
« le point clé » [255], permettant d’expliquer l’inversion observée de
cet état.
On ne pouvait pas
interpréter l’inversion en termes de configuration similaire à celle de l’atome
de sodium, c’est à dire une couche saturée et un électron s : .
« The simplest assumption is that the inverted of
BO, CO
, CN corresponds, like the inverted
ground
state of a halogen atom, to a configuration of closed shells minus one p electron. » [256]
L’électron p manquant était certainement un électron 2p, puisque le niveau 2p d’un atome avec 6 électrons équivalents est subdivisé en deux sous niveaux
avec :
2 électrons sur 2ps et 4 électrons sur 2pp.
Seules les
configurations de N2 et CO
suivantes,
permettent d’interpréter l’inversion :
de plus basse énergie.
de plus haute énergie.
x
est s ou d.
Le problème du choix de
la corrélation des états moléculaires avec les états de l’atome unifié ou ceux
des atomes séparés n’était pas encore complètement résolu. Rappelons que lors
de l’union de deux atomes dans des états donnés, il peut résulter plusieurs
états moléculaires, tous n’étant pas stables.
La détermination des
états moléculaires s’étendra sur une longue période, ce n’est qu’en 1932 que
Mulliken présentera
un article complet [67] sur le sujet. Cet article est l’aboutissement d’une
série constituée des articles [53], [59] et [67] traitant de l’interprétation
des spectres de bandes. Cet ensemble était destiné à la publication d’un livre
mais Mulliken abandonna son projet alors qu’il rencontrait des difficultés dans
la compréhension du phénomène de prédissociation[257] et qu’il avait commencé à travailler sur les
extensions de la théorie aux molécules polyatomiques.
« This diagram is most important. It has been said of it that it might well be on the walls of chemistry buildings, being almost worthy to occupy a position beside the Mendeléef periodic table so frequently found thereon. Just as the latter affords an understanding of the structure of atoms so does the former afford an understanding of the structure of molecules’[258]. » [259]
Le diagramme de
corrélation est publié dans l’article [67], il permet de comprendre la relation
entre la molécule et l’atome unifié d’une part et la molécule et les atomes
séparés d’autre part.
Nous avons déjà dit que
Mulliken souhaitait mettre en place un
principe de construction pour les molécules, mais c’était beaucoup plus
compliqué que dans le cas des atomes. Rappelons que dans les molécules,
les types d’orbites sont beaucoup plus nombreux que dans le cas des atomes. De
plus, l’énergie des ces orbites varie en fonction du numéro atomique des
atomes constituant la molécule, de la distance entre les noyaux et de la
répartition de la charge entre les noyaux.
Le cas des molécules
diatomiques hydrogénées était le plus simple puisque l’ordre des orbites y est
le même que pour l’atome unifié correspondant (CH similaire à N).
Sur la figure 28, les
états de l’atome d’azote, de configuration
, sont représentés
à gauche, un état fondamental 4S et deux états excités 2D
et 2P. Imaginons que nous séparions le noyau de l’atome d’azote en
deux de telle façon que le système électronique de l’atome soit soumis à un
champ électrique de symétrie axiale, les états atomiques 4S, 2D
et 2P sont alors transformés en états moléculaires 4S, 2S
, 2P, 2D, 2